La mode de la révision de la Constitution pour maintenir le chef de l'Etat égyptien en poste, au-delà de son actuel mandat, est symptomatique d'une Afrique hostile au principe d'alternance au pouvoir. L'ONG Human Rights Watch (HRW) a dénoncé hier dans un long communiqué les manœuvres politiques en cours en Egypte pour maintenir le président Abdel-Fattah Al-Sissi au-delà de son deuxième et dernier mandat, qui devrait prendre fin en 2022. "Les amendements proposés à la Constitution égyptienne, prévoyant notamment l'autorisation des forces armées d'intervenir au sein du gouvernement, saperaient l'indépendance de la justice et élargiraient les pouvoirs exécutifs qui font déjà l'objet de violations", a averti HRW dans son communiqué. Dans le projet de réforme de la Constitution, qu'Al-Sissi a lui-même modifiée en 2014, les députés acquis au pouvoir en place au Caire veulent sauter le verrou limitant le mandat présidentiel à deux. Pis, ils proposent de prolonger la durée des mandats de 4 à 6 ans, en introduisant un article dit de "transition". Ce qui ne manque pas de provoquer l'inquiétude de l'ONG qui rappelle que "depuis qu'il a pris le pouvoir en 2013, puis est devenu président en 2014, son gouvernement supervise la pire crise des droits de l'homme en Egypte, depuis des décennies, y compris d'éventuels crimes contre l'humanité", ajoute le communiqué rendu public sur son site. "Ces amendements renforcent les efforts du gouvernement soutenu par l'armée du président Al-Sissi visant à étouffer la capacité de la population à défier les personnes au pouvoir", a déclaré pour sa part Michael Page, directeur adjoint du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord à Human Rights Watch. "Si les amendements sont adoptés, il y a un risque clair qu'ils donneront officiellement aux autorités armées une autorité non contrôlée", a-t-il ajouté. Et à HRW de rappeler encore qu'"après avoir renversé par la force l'ancien président Morsi en 2013, Al-Sissi, alors ministre de la Défense, faisait partie du gouvernement qui a supervisé les assassinats massifs d'au moins 817 manifestants en un jour, lorsque l'armée et la police ont violemment dispersé le campement pacifique sur la place Rab'a du Caire". Après avoir pris le pouvoir, l'actuel président a promulgué une loi protégeant les hauts responsables de l'institution militaire contre toute poursuite judiciaire. Cette loi assure en fait l'immunité à tous les militaires impliqués dans les cas de torture ou d'assassinat des militants de l'opposition, dont ceux morts durant l'année 2013, après la destitution de Mohammed Morsi. "Depuis lors, le gouvernement mène une répression nationale sans relâche contre toutes les formes de dissidence. Les forces du ministère de l'Intérieur se sont livrées à la torture, à des disparitions forcées et à des exécutions extrajudiciaires. L'armée a procédé à des démolitions de maisons dans le nord du Sinaï, ce qui a entraîné des milliers d'expulsions forcées et des victimes sans que les alliés de l'Egypte fassent très attention. Certains de ces abus peuvent également constituer des crimes contre l'humanité", dénonce encore HRW. Mais cet autoritarisme qui a mis fin à des idéaux de la révolution de 2011 n'a pu s'installer sans le silence des alliés occidentaux de l'Egypte, qui apportent une caution sans faille à Al-Sissi, sous le couvert de la stabilité régionale et de la lutte contre le terrorisme. "Le gouvernement d'Al-Sissi est encouragé par le silence persistant de ses alliés, et si les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France veulent éviter les conséquences déstabilisatrices d'un régime autoritaire enraciné en Egypte, ils devraient agir maintenant", a conclu M. Page. Lyès Menacer