FINANCEMENT MONETAIRE DES DEFICITS PUBLICS : LA VOIE OUVERTE VERS LA RECESSION ECONOMIQUE Nous nous plaignons souvent des tares de notre système d'information économique. Non sans quelques raisons, il est vrai. La loi algérienne a beau affirmer depuis longtemps qu'il s'agit d'un droit fondamental du citoyen, rien n'y fait, le reflexe de rétention au sein de nos institutions est plus fort. Avec le temps, nous avons tous fini par nous y habituer et plus personne ne s'étonne ainsi qu'un document aussi courant que le projet de la loi des finances ne soit pas accessible, y compris après qu'il soit distribué aux députés de l'assemblée nationale et donc censé être devenu public. A se demander à quoi peuvent bien servir tous ces sites-web entretenus à grands frais par nos ministères, par nos chambres de commerce, par l'APN, par le Sénat, etc. Mais là n'est pas fondamentalement notre propos. L'ironie, c'est que nous nous sommes tellement accoutumés à cet état d'indigence que, même quand des informations économiques de toute première main sont publiées, nous n'y accordons pas toute l'attention qu'elles méritent. Il en est ainsi de cette note sur la gestion de nos finances publiques1, que le gouverneur de la Banque centrale a présentée en décembre dernier à l'APN et qui détaillait, notamment, en plus des montants précis, les destinations finales des fonds mobilisés par le Trésor public au titre de ce financement monétaire pudiquement dénommé non conventionnel. Les autorités algériennes n'ont pas pour habitude de faire preuve de transparence, particulièrement pour tout ce qui a trait à la gestion des finances publiques : c'est donc là une raison de plus de regarder de plus près les chiffres rendus publics par la Banque centrale et qu'il est possible de reconstituer et de restituer dans leur détail sous la forme du tableau ci-dessous. Usages prévus des tirages du financement non conventionnel, à fin 2018 Comme on peut le comprendre à travers le simple survol de ces données budgétaires inhabituelles, les besoins du Trésor sont multiples et vont de la couverture de déficits divers, de la prise en charge des subventions implicites des prix de l'énergie (gaz, électricité et carburants) jusqu'au remboursement de la première échéance de l'emprunt national lancé en 2016 ou à l'appui au financement des projets du Fonds national d'investissement. Naturellement, ces besoins du Trésor étant couverts par un mode de financement très peu conventionnel, à base d'émission monétaire, deux questions se posent légitimement, à savoir : d'une part, celle consistant à tenter d'appréhender l'état réel de dégradation des comptes publics en Algérie et les perspectives de leur évolution potentielle au cours des prochaines années, et d'autre part, pour s'interroger sur son caractère soutenable et sur les risques potentiels qu'il pourrait faire peser, dans la durée sur l'ensemble de l'économie nationale. Mais au préalable, il importe d'analyser de près les données communiquées par la Banque centrale et de savoir quels enseignements peuvent être tirés des usages faits du papier- monnaie injecté artificiellement dans l'économie, à la demande du Trésor public. 1-Réalités de l'opération « Financement non conventionnel » : six leçons à tirer A la base et dès lors qu'il s'agit d'informations économiques tout à fait essentielles, il importe d'analyser de près tout cet ensemble de données qui ont été communiquées par la Banque centrale et de savoir quels leçons sont maintenant à tirer des usages faits de la-monnaie ainsi injectée dans l'économie à la demande du Trésor public. Le premier enseignement qui ressort à l'examen a trait au niveau excessif et plutôt inattendu des tirages opérés par le Trésor public. 1.1- Le niveau excessif des besoins de financement du Trésor public, à fin 2018 L'année 2018 s'était caractérisée par un prix moyen du baril de pétrole2 se situant à hauteur de 70 $US, en augmentation de plus de 32% par rapport à celui de l'année 2017 : ce qui préjugeait de recettes de fiscalité pétrolière sensiblement plus importantes que celles prévues dans la projection budgétaire faite en début d'année, réduisant donc d'autant le niveau du déficit budgétaire qui y était affiché. Les chiffres du déficit budgétaire pour l'ensemble de l'année 2018 ne sont toujours pas disponibles, à ce stade. En extrapolant à partir des données rendues publiques par le Ministère des finances, à fin août 2018, on aboutit à un déficit budgétaire qui peut être évalué autour des 700 Mds de DA pour l'ensemble de l'année. On ne pouvait donc qu'être fortement surpris de découvrir que l'appel de fonds sollicité de la Banque centrale atteigne ce montant total aussi lourd de 5 192 Mds de DA, ce qui représente tout de même près de 65% des dépenses totales estimées du budget de l'Etat, à fin décembre 2018. On est encore plus surpris d'observer, à la lecture du tableau ci-dessus et du détail des destinations des montants mobilisés au titre de cette opération de financement non conventionnel, que seuls 28% de ces montants servent in fine à la couverture du déficit facial3 du budget de l'Etat. Les déficits réels, comme on le constate, sont beaucoup plus profonds. 1.2- Les déficits réels du Trésor public sont beaucoup plus importants que ceux inscrits à la loi des finances annuelle La distinction opérée dans la note présentée par la Banque centrale, entre la couverture des déficits du Trésor et les autres usages du financement monétaire, ne manque pas de soulever quelques interrogations. En effet, que cela se rapporte au financement des subventions, à la prise en charge du déficit de la CNR (Caisse nationale des retraites) ou au remboursement des échéances de l'emprunt national contracté en 2016, nous sommes bel et bien en présence d'engagements de dépenses de l'Etat que son agent financier, en l'occurrence le Trésor public, se trouve dans l'incapacité d'honorer. Dans le cas présent, ce que l'on peut objecter à juste titre, c'est simplement que les députés de l'APN qui sont amenés chaque année à approuver les comptes publics, ne se sont jamais vraiment intéressés, comme la loi les y autorise pourtant et les y invite, à examiner sur le fond l'intégralité des recettes comme des dépenses de l'Etat ; cela inclut notamment toutes les opérations financières hors budget dans lesquelles l'Etat s'est impliqué, que ce soit au titre de l'endettement du Trésor, de la gestion du FRR (Fonds de régulation des recettes), de la politique sociale des pouvoirs publics, de la gestion opérationnelle des capitaux investis au sein des entreprises publiques, des comptes spéciaux du Trésor, etc. En ce sens, la présentation du gouverneur de la Banque d'Algérie est particulièrement intéressante parce qu'elle lève une partie du voile sur un segment de la gestion des comptes publics qui, d'ordinaire, n'était pas abordé publiquement. Elle nous apprend ainsi que les déficits réels du Trésor public ne se résument pas à ceux qui sont affichés à l'issue des débats de la loi des finances. Ce constat officiel va même plus loin : les déficits hors budget sont, de loin, nettement plus élevés que celui qui s'affiche dans la loi des finances annuelle, lequel ne serait, en définitive, que la face émergée d'un véritable iceberg. 1.3- Le financement non conventionnel n'est pas conçu pour favoriser la croissance Il faut rappeler que l'un des arguments invoqué par les autorités pour justifier le recours au financement monétaire du Trésor était celui de la nécessité absolue du soutien à apporter à la croissance économique et au développement d'activités productives. Mais, dans la réalité, les chiffres communiqués à ce jour montrent bien que celui-ci a été pour l'essentiel une réponse à la dégradation avancée des comptes publics. A supposer que la part des ressources réservées au FNI - Fonds national d'investissement - soit intégralement allouée à des projets productifs (rappelons que le FNI est maintenant chargé officiellement de secourir la Caisse nationale de retraite), celles-ci ne représentent qu'une part limitée, soit 27% du total des 5 192 Mds de DA fournis au Trésor par la Banque centrale. Il n'y a pas de doute que le processus de croissance économique, qui était fondamentalement porté par la dépense publique, était en passe d'être complètement asphyxié. Mais, comme le problème de fond posé au gouvernement était précisément celui de l'hypertrophie de la dépense publique, il est vain de penser que ce soit à travers une injection de ressources supplémentaires que cette croissance pourra être relancée. Sans les réformes de structure qui ont été systématiquement oubliées de longues années durant, le financement non conventionnel ne fera qu'alimenter davantage le cycle sans fin de déficits lourds qui demeureront pour longtemps encore, la caractéristique majeure de la gestion des finances publiques algériennes. 1.4- Le caractère structurel des déficits couverts par le financement non conventionnel Il s'agit là, sans doute, de l'aspect le plus inquiétant qui ressort de l'état de situation dressé par le gouverneur de la Banque centrale. La plus grande part des destinations des ressources tirées de cette opération de financement non conventionnel concerne la couverture de déficits structurels de l'action de l'Etat. En effet, voila plus de dix années que les lois de finances successives portaient sur des exercices budgétaires déficitaires et que la fringale de dépenses publiques n'arrive plus à être compensée par des niveaux de recettes fiscales suffisants. Il est vrai que, jusqu'en 2016, ces déficits ont pu être couverts par les ressources du FRR (Fonds de régulation des recettes de la fiscalité pétrolière). L'épuisement de ce fonds, conjugué à la baisse significative des recettes pétrolières, n'ayant pas été accompagné par une baisse effective des dépenses de l'Etat, le budget algérien s'est installé dans une phase durable de déficits. Il en va de même des dépenses liées à la prise en charge des déficits de la Caisse nationale des retraites ou des subventions des prix de l'énergie. Sur ces deux volets, toutes les analyses convergeaient depuis longtemps, y compris au sein des instances gouvernementales, sur la nécessité de réformes structurelles. Celle-ci n'ayant pas été engagées, il est vraisemblable que cette catégorie de dépenses va se maintenir sur de longues années encore, sachant que, dans tous les cas de figure, cette catégorie de réformes ne produira de résultats significatifs que dans la durée. 1.5- Des subventions publiques massives au titre des prix de l'énergie C'est sans doute sur le volet des subventions dites « implicites » de l'énergie que le rapport du gouverneur de la Banque centrale soulève le plus d'interrogations. En effet, nous y apprenons que près de 30% des montants du financement non conventionnel, soit 1 549 Mds de DA sont consacrés à compenser le différentiel du prix de l'énergie (électricité, gaz et carburant) préfinancé par deux entreprises publiques, la Sonatrach et la Sonelgaz. Comme cela a été relevé plus haut, ces subventions ne sont pas formellement budgétisées, même si elles correspondent à un engagement financier incontournable de l'Etat. Le dispositif actuellement en place impose aux deux entreprises – Sonatrach et Sonelgaz - qui livrent sur le marché national les trois produits considérés, un prix de vente fixe qui se trouve être largement en deçà de leurs coûts de revient. En contrepartie de cette sujétion de politique publique, l'Etat est tenu légalement de leur rembourser le différentiel de prix. Le coût réel de cette forme de subventions des prix de l'énergie n'est pas communiqué publiquement, même si la note de présentation de la loi des finances pour l'année 20164 les avait estimées, pour le cas de l'année 2014, à quelques 1 540 Mds de DA, se répartissant à raison de 910 Mds de DA dûes à la Sonelgaz et 630 Mds de DA à la Sonatrach. Sans tenir compte de l'inévitable accroissement que cette facture des subventions de l'énergie a pu enregistrer entre 2014 et 2018, on notera que celle-ci pèsent d'un poids considérable, avec près du tiers (33%) des dépenses de fonctionnement de l'Etat algérien. 1.6- Une facture des subventions de l'énergie préfinancée sur longue durée par SONELGAZ et SONATRACH Du fait même que la subvention à l'énergie ne fasse pas l'objet d'une programmation budgétaire, le système qui a fini par se mettre en place a consisté pour les autorités financières à s'appuyer entièrement sur les deux entreprises publiques pour préfinancer le différentiel de prix. Pour gênant qu'il soit, ce système aurait pu être acceptable, sauf que, dans la pratique, le dédommagement des deux entreprises n'est effectué que de manière aléatoire et avec des délais extrêmement longs. Dans le cas de Sonelgaz, cela lui occasionne des déficits extrêmement élevés qui fragilisent sa politique commerciale et parasitent entièrement l'autonomie de ses décisions d'investissement. Certes, l'Etat intervient pour garantir ses emprunts auprès des banques publiques, mais dans la pratique, cette grande entreprise publique s'est installée dans un processus de fonctionnement malsain, qui perturbe sa gestion et l'empêche de gagner en performance et en efficacité. S'agissant de la Sonatrach, sa situation financière est certes meilleure, mais elle n'en souffre pas moins également des retards importants de remboursement de la part du Trésor public. Le rapport du gouverneur de la Banque centrale nous apprend ainsi que le financement non conventionnel va servir à dédommager la Sonatrach pour des créances sur l'Etat datant de la période 2012-2014. En d'autres termes, on peut estimer que pour la période allant de 2015 à fin 2018, c'est une créance de quelques 2 500 Mds de DA, au minimum, que l'Etat algérien devrait lui régler. On comprend, dans ces conditions, que, dans une conjoncture de baisse des prix pétroliers, elle éprouve quelques difficultés à financer ses projets de développement. Nous sommes ainsi en présence d'un mode de gestion des finances publiques profondément malsain qui consiste à faire peser le poids financier d'une politique sociale de l'Etat sur deux entreprises publiques, au risque de pervertir leurs équilibres comptables et de contrarier leur croissance et leur développement. Il est évident que ce système est injuste et inapproprié et que les autorités devraient s'engager à le réformer à très bref délai. En définitive, ce qui est fondamental à retenir, c'est qu'à travers les éléments d'information qu'il a rendus publics devant les députés de l'APN, le gouverneur de la Banque d'Algérie dresse un état gravement préoccupant de la situation des comptes publics. Mais au-delà de la gestion malavisée de l'argent public et de la panne sévère de ressources à laquelle elle a abouti, c'est une autre interrogation majeure qui est maintenant soulevée et qui se rapporte aux conséquences potentiellement graves sur l'ensemble de l'économie nationale, qu'il convient maintenant d'envisager pour les prochaines années. 1-Les équilibres profondément dégradés des finances publiques algériennes En l'espace de quinze mois, les tirages opérés auprès de la Banque centrale avaient déjà totalisé plus de cinq mille milliards de dinars, soit plus du quart du PIB de l'Algérie. Des inquiétudes légitimes avaient été soulevées déjà au moment où la loi avait ouvert très larges les voies du financement monétaire devant les appétits du Trésor ; elles se sont faites encore plus insistantes quand furent révélés les montants effectivement mobilisés à ce titre. Dans la pratique, ces inquiétudes sont d'autant plus justifiées que les déficits actuels des budgets publics sont encore loin d'être couverts par les ressources rendues disponibles à ce jour, par la Banque centrale. Mais surtout, ceux-ci ne manqueront pas, compte tenu des constats relevés plus haut, de se creuser davantage au cours de l'année 2019 en particulier, mais également au cours des années suivantes. Aussi, devant l'absence d'informations officielles affichées, il parait nécessaire de tenter d'appréhender, même de manière approximative, l'étendue des déficits auxquels le Trésor public aura à faire d'ici la fin de l'année 2022, soit à l'horizon défini dans la loi pour l'opération de financement non conventionnel. 2.1- Une estimation des déficits du Trésor et des besoins de financement non conventionnel auprès de la Banque centrale. Les autorités financières algériennes ne communiquent pas, comme elles auraient dû pourtant le faire, sur la réalité des déficits cumulés au long des années. Au moment où elles présentaient devant l'APN la loi autorisant le financement non conventionnel, on se serait attendu à priori à ce qu'elles fassent état publiquement d'une estimation aussi réaliste que possible des besoins de financement du Trésor public qu'elles comptaient devoir couvrir par le recours aux ressources monétaires de la Banque centrale. En l'absence de données confirmées de source officielle, nous pouvons tout de même tenter d'établir une estimation grossière de ces besoins, à partir d'informations tirées de documents de la Banque centrale ou du Ministère des finances. On peut ainsi identifier au moins quatre catégories de déficits qui vont alimenter vraisemblablement les demandes de financement du Trésor auprès de la Banque centrale : (i)- Déficit budgétaire affiché dans la loi des finances On a bien vu à quel point le gouvernement n'est pas arrivé à contenir la croissance de la dépense publique en dépit de la baisse sensible des recettes fiscales, elle-même liée à la forte chute des revenus pétroliers depuis l'année 2014. Aussi, en partant d'une hypothèse de gel de cette dépense budgétaire à son niveau de l'année 2018, avec un scénario favorable de prix du pétrole qui se maintiendrait à celui enregistré également en 2018, on aboutirait au même déficit budgétaire potentiel de quelque 700 Mds de DA pour les années 2019 à 2022. (ii)- Subvention implicite de l'énergie, à travers Sonatrach et Sonelgaz Les seules informations publiques disponibles à ce sujet5 font état d'une facture annuelle estimée pour l'année 2014 à 1540 Mds de DA, se décomposant en 910 Mds de DA pour Sonelgaz (soutien aux prix de l'électricité et du gaz) et 630 Mds de DA pour Sonatrach (soutien au prix du carburant). Il est vrai que depuis 2014, le tarif du carburant avait été ajusté en 2017, mais cette modification était très légère et aura été compensée largement par l'augmentation des quantités consommées, de même que par le glissement du taux de change pour le carburant importé. Dans le cas de Sonelgaz, la croissance des quantités consommées d'électricité et de gaz est généralement estimée à un taux annuel moyen de 6 à 8%. Dans ces conditions, on peut estimer le montant de 1 540 Mds de DA comme la facture minimale de la subvention annuelle du prix de l'énergie. (iii)- Déficit annuel de la Caisse nationale des retraites (CNR) Le montant du financement non conventionnel consacré en 2018 au déficit de la CNR s'élevait à 500 Mds de DA. Selon les déclarations des responsables de la CNR, ce montant s'élèvera à plus de 600 Mds de DA en 2019. A noter que l'article 49 de la loi des finances pour 2019 habilite maintenant le FNI (Fonds national d'investissement) à assurer la couverture de ce déficit à travers des prêts à long terme à taux bonifiés qu'il va devoir octroyer à la CNR. Un tel dispositif est déjà, en soi, économiquement absurde dans la mesure où le déficit d'une caisse de retraite ne peut pas, par essence, dégager un quelconque retour sur investissement. Le procédé utilisé a pour seule motivation apparente de ne pas aggraver le niveau du déficit affiché dans les écritures du budget public et, ce faisant, d'éviter tout débat public devant l'Assemblée nationale sur la gestion peu avisée des équilibres de cette caisse et sur l'incapacité à réformer un système de retraite imprévoyant. (iv)- Remboursement de l'emprunt national d'Etat contracté en 2016 Le montant total des deux premières tranches du remboursement de l'emprunt national pour la croissance, qui avait recueilli 568 Mds de DA, s'est élevé à 264 Mds de DA. On peut estimer que, sur les trois années qui restent, les annuités à rembourser se monteraient à quelques 132 Mds de DA par an, entre 2019 et 2021. 2.2- Autres engagements risqués de l'Etat dans l'économie En sommant les quatre types de déficits décrits plus haut, on aboutit, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous, à des besoins de financement du Trésor qui se chiffreraient, dans une hypothèse minimale proche de 17 000 Mds de DA, soit l'équivalent de 90% du PIB. Estimation des besoins de financement du Trésor par la Banque centrale En soi, le niveau de ces déficits est déjà fortement inquiétant. Mais il l'est encore d'autant plus qu'à ces montants déjà excessifs, vont devoir s'additionner par d'autres catégories de déficits auxquels l'Etat algérien va devoir faire face d'ici à la fin 2022. Ces déficits, qui illustrent avant tout l'incohérence de l'engagement de l'Etat dans la sphère des entreprises publiques, concernent ainsi : les créances de la Sonatrach liées à sa prise en charge du différentiel de prix des carburants, pour les années 2015 à 2018. Le rapport du gouverneur de la Banque centrale devant les députés avait en effet souligné que le montant des 904 Mds de DA dégagés en 2018, dans le cadre de l'opération de financement non conventionnel, ne couvrait que les créances des années antérieures à 2014. Aussi, à raison d'un minimum de 630 Mds de DA par an (estimation du Ministère des finances pour l'année 2014), ce sont quelques 1 520 Mds de DA qu'il y aurait lieu de rembourser à la Sonatrach dont on sait aujourd'hui qu'elle éprouve elle-même des difficultés à financer ses propres projets d'investissements. le même type de créances non payées et portant sur un différentiel de prix, s'applique au cas de la Sonelgaz. Cette entreprise publique avait des finances complètement saines, jusqu'à ce que l'Etat lui impose un gel de ses prix de vente de l'électricité et du gaz, à compter de l'année 2005. En théorie, les autorités auraient dû la dédommager pour cette sujétion qu'elles lui imposaient mais, faute de le faire à temps et de manière régulière, la Sonelgaz se retrouve enfermée dans une spirale malsaine de comptes financiers fortement déstructurés. la prise en charge par l'Etat des dettes d'assainissement des entreprises publiques, ainsi que des exonérations fiscales. On ne connait pas, bien sûr, le poids de ces paiements annuels qui sont exigibles de la part du Trésor public. On note cependant, quand ces chiffres ont été rendus publics pour les exercices 2012 et 2014 (cf. notes de présentation des lois de finances pour l'année 2014 et pour l'année 2016), le montant annuel était respectivement de 943 Mds de DA et 954 Mds de DA. Le FMI, de son côté, estimait à 1 517 Mds de DA pour l'année 2016 l'impact financier lié à l'engagement de l'Etat consacré au soutien qu'il a apporté aux entreprises publiques6. 2.3- Des demandes de financement non conventionnel difficiles à absorber Quand on additionne l'ensemble des engagements financiers dans lesquels le Trésor public algérien est potentiellement partie prenante, de manière directe ou indirecte, on comprend que le recours au financement monétaire de la Banque centrale ne pourra pas être circonscrit aux 5 192 Mds de DA de tirages effectués jusqu'ici. Il n'est pas vraiment possible, faute d'une communication publique de l'état effectif des déficits du Trésor, de déterminer de manière très précise le niveau des demandes de financement que le Trésor aura à solliciter de la Banque centrale au cours des prochains mois et des trois prochaines années. Celles-ci seront, en tout état de cause, plutôt très importantes compte tenu de la palette étendue des domaines dans lesquels intervient actuellement l'Etat algérien. Par ailleurs, et quand bien même le gouvernement décidait, dès la fin de cette année 2019, d'entamer réellement les réformes qu'il a jusqu'ici reportées de manière systématique, ces dernières ne produiront de résultat positif que de manière lente et progressive. Surtout, il ne faut pas perdre de vue que l'hypothèse retenue à la base de cette estimation est celle d'un prix moyen du pétrole à 70 US$ le baril. Une dégradation des prix sur les marchés pétroliers, que rien ne permet d'exclure, ne manquera d'affecter beaucoup plus gravement les équilibres déjà précaires des finances publiques algériennes. Au total, l'impasse des besoins en ressources du Trésor public peut être estimée à quelque 2 500 à 3 000 Mds de DA pour chaque année, entre 2019 et 2019. Cela équivaut en bout de course à un total de 15 000 à 20 000 Mds de DA de demandes potentielles de financement non conventionnel à adresser à la Banque centrale, soit quelque 80% à 100% du PIB de l'Algérie. De telles quantités de monnaie injectées ne pourront pas être absorbées sans dommages par l'économie algérienne : dans un tel cas de figure, le risque de fortes tensions inflationnistes ne pourra sans doute pas être évité. 1-L'opération de financement non conventionnel, une grave menace pour l'économie algérienne ? Dans l'ancienne loi sur la monnaie et le crédit, le recours par le Trésor à l'endettement auprès de la Banque centrale était tout à fait permis mais il était sérieusement encadré en ce sens qu'il ne l'autorisait que dans les limites de 10% des recettes fiscales non pétrolières collectées au cours de l'année antérieure, avec une échéance de remboursement devant s'opérer obligatoirement au cours de l'année suivante. Dans les limites légales ainsi tracées, le maximum du financement monétaire pouvant être autorisé en 2018 aurait été de 300 Mds de DA et aurait dû être éligible à remboursement dès 2019. Après cela, on ne peut qu'être surpris de l'étendue du basculement vers un mode de financement aussi malsain que dangereux, en l'espace d'une année. A ce stade déjà, les tirages effectués par le Trésor représentent 17 fois le montant qui serait considéré comme admissible dans un contexte légal orthodoxe. Quand on se rend compte que ce processus de financement par du papier-monnaie s'installe dans la durée et que, selon toute vraisemblance, il est parti pour prendre des proportions de plus en plus démesurées, il est raisonnable de penser qu'un débat de fond devrait être aujourd'hui ouvert quant aux menaces très sérieuses que ce mode de gestion anachronique fait peser sur l'économie algérienne. Pour prendre la mesure de ces menaces, il importe de revenir sur cinq aspects qui sont autant de sources d'interrogations ou d'inquiétudes. 3.1- Le financement non conventionnel, instrument d'appui à la croissance économique ? Le principal argument invoqué par les autorités financières algériennes pour justifier leur option d'un recours au financement monétaire du Trésor était bien entendu celui de la nécessité de continuer à soutenir le processus de croissance. Dans la pratique, cela signifiait surtout qu'elles renonçaient à toute réduction substantielle de la dépense publique, comme les y engageait le nouveau modèle de croissance qu'elles avaient elles-mêmes approuvé très officiellement au cours de l'année 2016. Il est vrai que, depuis longtemps déjà, ce sont les programmes d'investissement public qui constituaient le principal moteur de la croissance en Algérie. Il est donc raisonnable de penser qu'un arrêt brusque de ces programmes était de nature à entrainer un effet récessif que les autorités étaient fortement enclines à vouloir éviter. Comme elles refusaient par ailleurs d'autres solutions comme celle de l'endettement extérieur7, le recours à la Banque centrale se présentait quasiment comme un passage obligé. Néanmoins, ce type d'argument passe difficilement quand on observe le niveau considérable de ce financement non conventionnel, qui aura atteint quelque 65% des dépenses de fonctionnement de l'année 2018. En d'autres termes, la réalité est qu'il s'agissait avant tout de préserver le fonctionnement au quotidien des services de l'Etat : après quoi, le débat sur la croissance devient tout à fait superfétatoire. A cela, il faut ajouter que toutes les analyses s'accordent depuis très longtemps sur le fait que le défi majeur de l'économie algérienne était celui de sa faible diversification, de son excessive dépendance à l'égard du secteur des hydrocarbures et que la réponse à ce défi passait précisément par un autre modèle de croissance qui s'appuierait davantage sur l'investissement productif et beaucoup moins sur le budget d'équipement public. Tout surcroît de dépense budgétaire est sans effet sérieux sur la croissance. 3.2- Quel est le niveau réel de désintégration des comptes publics ? Dans la pratique, la véritable préoccupation qui se laisse deviner à travers cette opération « financement non conventionnel » est celle, pour l'Etat algérien, de savoir comment il va parvenir, à ce stade, à financer les engagements auquel il est tenu de faire face, que ce soit pour la prise en charge des services publics de base, pour ses projets d'infrastructure comme au titre de la politique sociale qu'il entend continuer à promouvoir. L'enjeu, de ce point de vue, est encore plus important quand on prend conscience de ce qu'il faut sans doute analyser comme une complète désintégration des comptes publics de l'Algérie. Comme on l'a vu tout au long de la présente note, ces comptes paraissent plombés de tous côtés, sous le coup de choix de politiques publiques très contestables : L'option des autorités de ne pas prendre acte, cinq années durant, de la dégradation des recettes de la fiscalité pétrolière et de reconduire systématiquement un niveau élevé de dépenses de l'Etat, est malaisée à comprendre ; La déroute de très nombreuses entreprises publiques qui, après avoir bénéficié de nombreux avantages de la part de l'Etat, n'arrivent pas à se hisser aux niveaux de performance qui étaient attendues d'elles8. Dans une conjoncture où elles auraient dû générer des dividendes pour l'Etat actionnaire, elles se transforment au contraire en source de déficits que ce dernier sera appelé encore à combler ; Le blocage pendant près de quinze années des prix de produits majeurs du secteur de l'énergie (électricité, gaz et carburants), se traduit par des déficits annuels extrêmement lourds qui sont supportés d'abord par les deux grandes entreprises publiques (Sonatrach et Sonelgaz) et que l'Etat, malgré l'engagement pris, n'arrive pas à rembourser dans des délais acceptables. Avec le temps, et même si tous les analystes, y compris ceux des services de l'Etat, conviennent de la faible équité sociale de cette catégorie de subventions, aucune réforme sérieuse n'est réellement entreprise ; Enfin, on ne peut manquer de pointer toute une série de déficits impossibles à chiffrer à ce stade, tels que ceux résultats des retards de paiement des marchés publics dans des secteurs comme ceux de la construction9 ou des produits de santé10. Si la faible pertinence de tous ces choix de politiques économiques ou budgétaires est avérée, il est encore plus dommageable que, faute de transparence des comptes publics, il ne soit pas réellement possible d'évaluer la profondeur réelle du gouffre de déficits de toutes sortes dont l'économie algérienne aura à amortir le choc douloureux au cours des prochaines années. Dans ces conditions et sachant l'impact déstabilisateur qu'ils représentent, il serait hautement recommandé que, à la suite de l'alerte sonnée le 12 décembre 2018 devant les députés par le gouverneur de la Banque d'Algérie, il soit établi un état exhaustif des engagements financiers que la collectivité nationale aura à assumer au cours des toutes prochaines années. 3.3- Le Trésor sera t-il en mesure de rembourser ses emprunts à la Banque centrale ? Jusqu'ici, c'est l'équivalent de plus de 25% du PIB algérien qui a déjà fait l'objet de tirage sous forme de monnaie artificielle auprès de la banque centrale. Autant que l'on sache, à ce stade, il faudra s'attendre à ce que ce soit au moins le double de cette somme qui soit retirée au cours des trois prochaines années. Au-delà du procédé, en soi très fortement discutable, la question qui se pose légitimement est celle de savoir, comme dans le cas de toute opération d'emprunt, dans quelle mesure les retraits opérés sur son compte à la Banque centrale pourront, un jour, être remboursés par le Trésor public. De ce point de vue, il y a trois remarques essentielles à faire : (i)- En premier lieu, il est symptomatique d'observer que la question de la capacité effective du Trésor public à rembourser les financements « non conventionnels » qui lui sont consentis n'a pas du tout été posée. L'amendement apporté à la loi sur la monnaie et le crédit qui a été passé en octobre 201711 a procédé à la levée des limites à la création monétaire en faveur du Trésor, sans que celle-ci ne soit soumise à une quelconque conditionnalité. La Banque centrale n'avait légalement d'autre choix que de s'exécuter et de répondre aux sollicitations du Trésor sans considération aucune sur les montants sollicités ou pour une quelconque capacité future de remboursement. (ii)- Dans le cadre de ce même amendement, il est stipulé que le nouveau « dispositif est mis en œuvre pour accompagner la réalisation d'un programme de réformes structurelles économiques et budgétaires devant aboutir, au plus tard, à l'issue de la période susvisée, notamment, au rétablissement des équilibres de la trésorerie de l'Etat ». Comme on peut le constater, alors que la création de monnaie est immédiate et impérative, l'engagement de réformes structurelles et le rétablissement de l'équilibre budgétaire ne figurent que comme de simples objectifs sans aucune forme de contrainte attachée à leur réalisation effective. (iii)- D'un point de vue strictement économique, c'est une évidence de constater que rien, en l'état actuel, ne présage de la mise en place des conditions d'une croissance suffisamment forte et puissante qui permettraient de générer des recettes fiscales suffisantes pour rembourser les prêts consentis au Trésor public par la banque centrale. Surtout, compte tenu des niveaux extrêmes atteints par ce processus toujours en cours de création monétaire, toute hypothèse de remboursement ne peut être sérieusement envisageable, en dehors d'un taux d'inflation élevé par lequel s'opérerait une très forte « démonétisation » de la dette du Trésor public. En clair, la notion même de remboursement perd de sa signification puisqu'en contrepartie d'un dinar reçu aujourd'hui, c'est un dinar très fortement dévalué qui sera rendu éventuellement demain. La loi, du reste, ne mentionne aucune obligation de remboursement. 3.4- Faut-il anticiper dès à présent le dérapage inflationniste ? Comme on le sait maintenant, les grosses quantités de monnaie déjà tirées, ainsi que celles, non moins conséquentes qui ne manqueront pas d'être sollicitées de la Banque centrale d'ici à la fin de l'année 2022, sont destinées à combler les déficits des comptes publics et pas du tout à financer des investissements créateurs de richesses ou pourvoyeurs de recettes fiscales pour le Trésor public. Dans ces conditions, la seule question qui se pose est celle de savoir quelle sera l'intensité du dérapage inflationniste annoncé et surtout, dans quel délai ses effets inévitables se feront ressentir sur les marchés internes, aussi bien pour les producteurs que pour les consommateurs nationaux. Les autorités algériennes ont eu beau jeu de faire valoir que, jusque-là, aucun signe d'accélération du taux d'inflation n'a été observé. Dans les faits, eu égard aux faibles performances de l'économie nationale, une émission de monnaie aussi massive se traduise nécessairement, à terme plus ou moins rapproché, par une augmentation significative du niveau général des prix. Mais, sur le fond, comme l'expliquait le Pr Meddahi, « l'inflation est contenue pour trois raisons. D'abord, la masse monétaire n'a pas trop augmenté, car l'énorme déficit de la balance des paiements se traduit par la destruction de sa contrepartie en dinars. La seconde raison est la bonne gestion par la BA et le Trésor de l'injection monétaire. En effet, la BA a repris son programme de reprise de liquidités et a augmenté deux fois le taux de réserves obligatoires des banques, alors que le Trésor tire mensuellement de l'argent de son compte à la BA en fonction de ses besoins. Troisième raison, les salaires n'ont pas profité de la planche à billets. En fait, l'inflation est tirée par les contraintes à l'importation, les dysfonctionnements de marchés et la baisse nominale du dinar12 ». Cela étant, il est douteux que les pressions inflationnistes puissent continuer à être ainsi contenues sur les trois années à venir, dans la mesure où, d'ici à 2022, les besoins de financement du Trésor auprès de la Banque centrale ne se limiteront certainement pas aux tirages effectués à fin 2018. Cela sera d'autant plus difficile que, parmi les réformes que le gouvernement a déjà programmées, figurent précisément celles aux prix des produits de base comme ceux de l'énergie dont les augmentations inévitables seront ressenties à travers l'ensemble du tissu économique. Les différer davantage reviendrait à accepter de faire porter indéfiniment le poids des subventions sur les deux plus grandes entreprises du pays, au risque de les affaiblir dangereusement. A cela s'additionne une politique contrainte de surévaluation du taux de change du dinar, liée précisément au désir des autorités de contrer à tout prix l'effet inflationniste d'une dévaluation. Une baisse significative de la valeur de la monnaie nationale aurait dû s'imposer, en effet, dans le contexte de déficits lourds et structurels que la balance des paiements accuse sans discontinuer depuis 2015. Elle aurait permis, outre une réduction des importations de biens et services, d'améliorer les recettes fiscales de l'Etat (droits de douane et fiscalité pétrolière, notamment). L'option prise de maintien d'un dinar surévalué a des conséquences économiques redoutables en ce sens qu'elle favorise le recours à l'importation et qu'elle pénalise la production locale. Elle privilégie paradoxalement la stabilité des prix au détriment de l'emploi et de la croissance, dans une conjoncture économique particulièrement difficile et sensible. Au total, la politique suivie les autorités parait d'autant plus incertaine qu'elle pénalise la croissance sans être assurée de contenir les tensions inflationnistes que ses choix monétaires alimentent substantiellement en amont. Par-dessus tout, elle illustre une forme d'immobilisme qui reflète in fine un refus obstiné d'engager des réformes dont tous les analystes, y compris officiels, reconnaissent depuis longtemps qu'elles sont indispensables et inévitables. 3.5 - Qu'en est-il de la mise en œuvre des réformes structurelles ? L'aspect le plus surprenant, sans doute aussi le plus contestable, de l'opération « financement non conventionnel » décidée par le gouvernement à fin 2017, est celle qui aura conduit à adopter une mesure aussi extrême que le recours à la planche à billets, sans même esquisser un début d'effort de réforme tendant à mieux gérer les ressources disponibles ou à contenir un tant soit peu les déficits multiples des budgets publics. Bien au contraire, même la tentative amorcée, début 2017, en vue de discipliner la dépense publique à travers la fixation d'une trajectoire budgétaire triennale, sera abandonnée en cours de route sans aucune explication raisonnable. Pourtant, si l'on s'en tient aux déclarations d'intention du gouvernement, « ce mode de financement exceptionnel qui sera instauré pour une durée de cinq années, sera accompagné de la mise en œuvre d'un programme de réformes structurelles économiques et financières, destinées à rétablir l'équilibre des finances publiques ainsi que l'équilibre de la balance des paiements13 ». Mais, dans la pratique, dix-huit mois plus tard et alors que plus de 5 000 Mds de DA sans contrepartie auront été retirés de la Banque centrale, ce programme de réformes, pourtant inscrit dans un texte réglementaire14 censé – en théorie - lui conférer une force exécutoire immédiate, tarde toujours à démarrer sur le terrain15. Est-ce à dire que ces mêmes réformes seront reportées indéfiniment ? Bien entendu, celles- ci verront bel et bien une concrétisation sur le terrain, dès lors qu'il ne sera plus possible de faire autrement, en particulier pour la réduction du niveau de la dépense publique et pour le relèvement des tarifs de l'énergie. En effet, le niveau des déficits publics sera tel, au cours des deux années à venir, qu'il ne sera pas possible de les soutenir, y compris dans l'hypothèse très peu probable d'une forte remontée des prix pétroliers sur le marché mondial. Paradoxalement, l'opération de « financement non conventionnel », qui ne fait qu'aggraver le rythme des déficits publics, les conditions qui rendent le changement absolument incontournable. A travers elle, les autorités semblent avoir choisi de prolonger indéfiniment le mouvement incontrôlable de ces déficits jusqu'à ce que le terrain en vienne à dicter le caractère absolu et irréversible des réformes. La seule objection, à ce sujet, c'est que ce changement va devoir s'opérer dans un contexte économique et social extrêmement contraint et douloureux. 1-En conclusion : par-delà la faillite des comptes publics, le spectre de la récession économique Depuis la chute des prix pétroliers en 2014, les autorités ont systématiquement privilégié le confortement des marges de manœuvre du budget de l'Etat, au détriment de l'appui effectif au développement des entreprises et des secteurs productifs16. Mais ce qui est à retenir surtout, c'est qu'au regard de l'implication directe et multiforme de l'Etat, il est évident que l'affaissement durable des finances publiques ne manquera pas d'affecter sérieusement et durablement les performances de l'ensemble de l'économie algérienne. En effet, tous les éléments d'un scénario récessif semblent aujourd'hui alignés : (i)- Les excès d'une création monétaire déjà considérable et sans doute appelée à s'étendre davantage au vu des déficits massifs qu'il va falloir continuer à couvrir, ne manqueront pas de se traduire par des dérapages inflationnistes inévitables et de grande ampleur, que les autorités ne pourront pas contenir durablement ; (ii)- Compte tenu des déficits cumulés à ce jour et de ceux prévisibles au cours des prochaines années, il ne sera pas possible de maintenir très longtemps le gel des prix de produits de base et en particulier des produits énergétiques. Dans le même temps, une révision des prix de l'énergie ne manquera pas de relancer le processus inflationniste, ce que les autorités souhaitent éviter ; (iii)- Les autorités ont elles-mêmes exprimé leur inquiétude au sujet des déficits successifs du secteur public que le Trésor public n'a pas manqué de couvrir jusqu'ici, année après année. On ne connait pas l'état réel des entreprises concernées, ni le détail de leurs mauvaises performances et des menaces qui pèsent sur elles. L'Etat actionnaire ne pourra sans doute pas les aider à se relancer dans le difficile contexte économique actuel. Il pourra au mieux prévenir leur faillite en incitant les banques publiques à continuer de les financer et en couvrant leurs pertes financières, comme il le fait aujourd'hui, par injection de ressources tirées de la planche à billets. (iv)- Dans leur souci de contenir coûte que coûte l'inflation des prix, les autorités ont opté pour le maintien d'un taux de change du dinar de plus en plus surévalué, ce qui par ailleurs pérennise un déficit de la balance des paiements qu'elles n'arrivent pas à corriger, en dépit de mesures restrictives multiples et désordonnées sur les échanges extérieurs. A terme, l'épuisement des réserves de change, qui devient inévitable à l'horizon, conduit tout droit à une situation cataclysmique, avec recours au recours au FMI, dévaluation massive, inflation forte, fermeture d'activités, licenciements tous azimuts, etc. La gestion de l'économie algérienne s'apparente de plus en plus à un scénario de fuite en avant. Les réformes structurelles mille fois reportées finiront par s'imposer d'elles-mêmes sur le terrain, non pas suite à la volonté consciente d'une politique gouvernementale, mais le jour où il ne sera plus possible de continuer à entretenir le cycle absurde des déficits : elles interviendront au plus tôt avec les dérapages inévitables d'un cycle inflationniste latent, au plus tard avec l'épuisement des réserves de change. Ce qui reste certain, c'est que, sous le poids de la détresse budgétaire, les transformations s'opéreront dans un contexte extrêmement tendu d'un point de vue économique, et excessivement douloureux d'un point de vue social.
Mouloud HEDIR Février 2019 Note préparée pour le compte de CARE – Cercle Algérien de Réflexion autour de l'Entreprise
1- Note intitulée « Synthèse des développements monétaires et financiers en 2017 et des tendances de l'exercice 2018 », accessible sur le site-web de la Banque d'Algérie. Le contenu de cette note a été exposé à l'APN le 12 décembre 2018. 2- Evolution des pétroles du panier OPEP (cf. : www.opec.org) 3- On fait référence ici aux données affichées devant l'APN, lors de la présentation de la loi des finances. 4- Cf. Site-web du Ministère des finances 5- Informations communiquées dans la note de présentation de la loi des finances pour 2014. Consultable sur le site-web du ministère des finances. 6- Fiscal Risks in Algeria – IMF Selected Issues 2017 – Report N° 17/142, P. 38 7- Le FMI, dans son rapport au titre de l'article 4 de ses statuts, pour l'année 2017, considérait le financement monétaire comme très risqué et recommandait plutôt cette solution de l'endettement extérieur (IMF Country Report N° 17/141). 8- La presse a fait état d'une instruction récente du Premier ministre qui ordonnait à tous les ministres de prendre des mesures urgentes pour réduire et éponger les dettes des entreprises économiques publiques de leurs secteurs respectifs avec le Trésor public (EL WATAN du 17 janvier 2019). 9- Les entreprises du BTP se plaignent régulièrement des retards importants de règlement de leur facture de la part des différents maitres d'ouvrage étatiques. 10- Dans son rapport sur la loi de règlement de l'année 2016, la Cour des comptes a fait état de non paiement à la PCH (Pharmacie centrale des hôpitaux) de créances auprès des différentes structures hospitalières publiques estimées à fin 2016 à plus de 50 Mds de DA. 11- Loi n° 17-10 du 11 octobre 2017 complétant l'ordonnance 03-11 du 26 août 2003, relative à la monnaie et au crédit. Cf. JORADP N° 57 – Année 2017 12- Cf. Entretien du Pr Meddahi avec le journal Liberté du 12 décembre 2018 13- Cf. Communiqué du Conseil des ministres du 6 septembre 2017 14- Décret exécutif n°18-86 du 5 mars 2018 portant mécanisme de suivi des mesures et réformes structurelles dans le cadre de la mise en œuvre du financement non conventionnel (JO N° 15 – Année 2018). 15- La loi organique sur les lois de finances, projet inscrit à ce programme de réformes structurelles, a bien été promulgué. Certes, il institue des conditions de gestion plus transparentes des budgets publics, mais leur application est renvoyée à un délai de trois années. 16- La comparaison avec les politiques dites de « quantitative easing », telles que conduites par les banques centrales européennes ou US est peu pertinente. Outre que celles-ci sont complètement indépendantes, elles ne financent pas directement les Trésors publics et leurs politiques de subventions, comme c'est le cas pour cette opération de « financement non conventionnel ».