Jamais la ville n'a connu un tel déferlement, une telle ambiance qui a regroupé particulièrement des femmes dont certaines manifestaient pour la première fois. Pour les plus âgées d'entre elles, l'événement leur rappelle les premières heures de l'indépendance de l'Algérie. Pour ce troisième vendredi de colère, une marée humaine a déferlé à Bouira pour exprimer son refus irrévocable du 5e mandat du Président sortant et exiger le "départ du système". Journée du 8 Mars oblige, les femmes étaient au rendez-vous de cette marche historique. Des centaines, voire des milliers de femmes, tous âges confondus, se sont jointes à la contestation populaire et ont scandé leur refus de voir l'Algérie sombrer dans l'inconnu. Aux traditionnels slogans anti-système, scandés à tue-tête depuis maintenant trois semaines, se sont mêlés les youyous de la gent féminine, donnant à la marche d'hier une ambiance des plus festives. Des femmes en robe kabyle, hayek algérois, hidjab et même en niqab ont marché côte à côté et ont crié comme une seule femme "Djazayer hourra dimocratiya" (Algérie libre et démocratique), "Bouteflika dégage" tout en brandissant des pancartes dont le contenu est à la fois hilarant et lourd de sens à la fois : "Les femmes rêvent d'un homme comme Bouteflika, plus on le rejette, plus il s'accroche !" Une dame d'un certain âge, accompagnée de sa fille et de ses deux belles-filles, entonnant l'hymne national entrecoupé de youyous qui résonnent dans le ciel de Bouira, déclare d'une voix pleine de ferveur : "Aujourd'hui, j'ai décidé de sortir dans la rue pour faire entendre ma voix, même si je n'ai plus mes jambes de 20 ans. Le Président et ceux qui l'entourent ont fait du mal à ce pays presque autant que les colons." Elle affirme avoir eu 17 ans en 1962. "Les scènes d'aujourd'hui me rappellent la liesse de l'indépendance et j'espère bien que le pays va recouvrer son indépendance, car ces gens qui nous gouvernent ont mis le pays à genoux", a-t-elle conclu avant de rejoindre le cortège des marcheurs. Ainsi, et tout comme la marche du 1er mars, c'est vers 13h30 que des milliers de jeunes venus des quatre coins de la wilaya se sont donné rendez-vous à leur point de ralliement au quartier de l'Ecotec et à la place des Martyrs. Cette fois, ce ne sont ni 50, ni 100, ni 120 000 marcheurs, mais plutôt plus de 150 000 citoyens, selon les estimations des services de sécurité, qui ont battu le pavé. Le dernier carré des marcheurs se trouvait au commissariat central, tandis que le premier était stationné aux abords de la Faculté de Bouira, soit une distance approximative de 2 kilomètres. Une mobilisation record ! Les marcheurs, tout au long de leur procession, ont, bien évidemment scandé des slogans hostiles au pouvoir en place : "Bouteflika le Marocain, il n'y aura pas de cinquième mandat !", "FLN dégage !", "Le peuple veut la chute du régime" ou encore les traditionnels "Pouvoir assassin !", "Bouteflika, Ouyahia, gouvernement terroriste !" Après une courte halte devant le siège de la wilaya, la procession sillonnera les principales artères de la ville sur un parcours de près de 3 kilomètres. Enfin, et comme de coutume depuis le 22 février, les manifestants ont été d'un civisme exemplaire. Les forces de l'ordre n'ont pratiquent rien eu à faire, sauf à admirer le grandiose spectacle.