Les deux intervenants préconisent une issue en douceur pour, à la fois, ne pas créer de vide institutionnel mais aussi une sortie honorable pour le président de la République. Aussi reconnaissent-ils que c'est le Président lui-même qui est à l'origine de la situation actuelle créée avec son décret portant annulation du scrutin. Comment gérer la transition ? C'est la question à laquelle ont répondu, hier, la constitutionnaliste Fatiha Benabou et l'économiste Smaïl Lalmas, lors du Forum d'El Moudjahid. Fatiha Benabou pense qu'il ne faut pas remettre en cause toutes les institutions au risque de provoquer "l'effondrement de l'Etat et de se retrouver dans une situation de vide constitutionnel et d'anarchie. Procéder ainsi serait ouvrir la boîte de Pandore". Elle estime que le pouvoir veut mener le pays vers cette voie-là, vers ce qu'elle qualifie de "crise surfaite". Selon elle, dès le 28 avril prochain, date de la fin de mandat du président de la République, le pays entrera dans une crise institutionnelle provoquée par le décret présidentiel du 11 mars dernier portant annulation de la convocation du corps électoral. Sur ce point, elle indique qu'aucune disposition de la loi fondamentale ne donne au chef de l'Etat une telle prérogative. Fatiha Benabou accuse le Conseil constitutionnel d'avoir marché dans une combine préjudiciable pour le pays. Et d'étayer : "Le Conseil constitutionnel s'est réuni le 13 mars pour arrêter le processus électoral et archiver les candidatures. Alors que le décret présidentiel portant report du scrutin n'a été publié au Journal officiel que le 14 mars et devait prendre effet 24 heures après. Sur quelle base le Conseil constitutionnel a-t-il mené ses délibérations ? Sur la base d'un coup de téléphone ? La question se pose." Car, poursuit-elle, si cette institution avait respecté les délais réglementaires d'entrée en vigueur des décrets présidentiels, elle aurait été obligée "d'examiner les différentes candidatures et dans le cas de retrait du Président de la course électorale donner un délai supplémentaire de 15 jours. Ce qui aurait permis à ceux qui n'ont pas déposé leur dossier à cause de la candidature de Bouteflika de le faire". La constitutionnaliste est d'avis que le pouvoir a "préfabriqué une crise intentionnelle pour empêcher la tenue du scrutin présidentiel" dans les délais réglementaires. "Le 28 avril on assistera à un tremblement de terre qui ébranlera la structure institutionnelle. Aucun article de la Constitution ne permet au Président de prolonger son mandat", prévient-elle. Alors quelle solution pour éviter la rupture du processus de la légalité ? "Le procédé le plus sûr et démocratique est le retour à l'urne", considère Fatiha Benhabou qui appelle à l'application de l'article 102 de la Constitution soutenant que ce dernier ne se limite pas seulement à l'état d'empêchement en cas de maladie grave et durable. Une solution constitutionnelle à moindre coût "Le deuxième paragraphe de cet article, explique-t-elle, prévoit une démission du président de la République. Dans ce cas-là, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l'acte de déclaration de vacance au Parlement". "Le président du Conseil de la nation assumera alors la charge de l'Etat pour une durée de trois mois, au cours de laquelle l'élection présidentielle sera organisée. Il ne faut pas appréhender l'intérim parce qu'il est limité dans le temps et toutes les prérogatives du chef de l'Etat élu sont verrouillées durant cet intervalle. Après 90 jours, on pourra revenir à la légalité". De son côté, Smaïl Lalmas propose une autre solution de sortie de crise. "Le président de la République peut désigner dans le tiers présidentiel du Conseil de la nation, une personnalité approuvée par le mouvement populaire. Cette personnalité sera par la suite élue par les sénateurs au poste de président du Conseil de la nation et pourra ainsi gérer la période de transition de trois mois. C'est une solution constitutionnelle à moindre coût et une sortie correcte pour le président de la République." Cette option est constitutionnellement possible, atteste Fatiha Benabou. "Il faut faire vite, avertit-elle, car la colère des manifestants monte et demain, on ne sait pas ce qui va se passer." Smaïl Lalmas rend responsable le chef de l'Etat de "chaque goutte de sang susceptible d'être versée. Un pétard peut provoquer une panique et entraîner des morts dans la bousculade. Le pouvoir peut aussi introduire parmi les marcheurs ses hommes et provoquer des actes de violence. C'est de notre devoir d'anticiper sur ce genre d'événements". Smaïl Lalmas appelle, en outre, les cadres de l'Etat au niveau des ministères, à la vigilance afin de préserver ce qui reste des richesses du pays. "J'ai des informations de fuite de capitaux et d'octroi ces derniers jours de marchés antidatés. C'est un pillage organisé", assène-t-il. Nissa Hammadi