Peu après l'annonce officielle de la démission du désormais ex-président de la République, Abdelaziz Bouteflika, les citoyens ont investi la rue dans plusieurs régions du pays. L'annonce surprise de la démission du président Abdelaziz Bouteflika a provoqué, dans la soirée d'avant-hier, des scènes de liesse indescriptibles dans les rues d'Alger-Centre. En effet, des centaines de citoyens ont rapidement envahi les grandes artères de la capitale pour exprimer leur joie pour la concrétisation de cette réclamation, détonateur de la révolte populaire qui dure depuis le 22 février dernier. Klaxons, youyous, embrassades, feux d'artifice, chants populaires… les citoyens ont jubilé en ce moment historique comme un deuxième jour d'indépendance. "C'est la victoire du peuple", "Nous avons gagné !" crie à tue-tête un cinquantenaire donnant l'impression de ne pas réaliser encore ce qu'il venait d'entendre. "Bouteflika, c'est fini !" a repris un autre citoyen tout aussi heureux de voir le règne de Bouteflika prendre fin, 20 ans après. Quittant leurs foyers après avoir suivi, attentivement, le JT de 20h de la Télévision nationale qui rendait publique, images à l'appui, cette information tant attendue, les citoyens arrivaient au fur et à mesure pour former de grands groupes notamment place Maurice-Audin et sur l'esplanade de la Grande-Poste. Ces deux lieux étant les plus fréquentés par les manifestants depuis déjà sept semaines. Conscients que le combat pour dégager le système, tout le système, était encore loin d'être achevé, d'autant plus que c'est le chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, qui a imposé la démission de Bouteflika, la joie des citoyens était, toutefois, mesurée. Les Oranais ont veillé tard Les Oranais quant à eux sont restés modérés dans leurs manifestations de joie et de satisfaction. Conscients en fait que cela n'était qu'une étape, par rapport aux revendications de "départ du régime et de ses clients", ils ont néanmoins marqué le coup jusqu'à une heure du matin par des concerts de klaxons au centre-ville. Les discussions sur les suites à donner à cette démission, allaient bon train dans les cités, au pied des immeubles. Majoritairement les Oranais, que nous avons approchés, dans la rue, ou dans les lieux publics, le disent : "Nous voulons la fin de ce régime et de tous les clans qui ont pillé le pays." Des syndicalistes autonomes mobilisés depuis le 22 février appellent aussi à la mobilisation pacifique, estimant que cette démission telle que présentée "veut permettre aux clans de sauver le régime et leur tête", nous dit un syndicaliste de la Fonction publique. Soulagement à Bouira La démission de Bouteflika entraînant avec lui la chute de la "bande de malfaiteurs" selon les termes du général du corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, a été accueillie avec soulagement et sobriété à Bouira. En effet, les scènes de liesse enregistrées à Alger n'ont pas eu lieu à Bouira, où la population a fait montre d'une certaine compassion à l'égard d'un vieil homme malade et au crépuscule de son existence. "Avec tout le mal que lui et ses frères ont fait au pays, il n'en demeure pas moins un homme en fin de vie. Qu'il aille se reposer et nous laisse bâtir une nouvelle Algérie", dira Ahcen Guettaf, élu FLN à l'APC de Bouira. Pour lui, le désormais ex-chef de l'Etat, fait partie du passé. "L'Algérien est digne et compatissant envers tout être humain (…) on n'est pas des Irakiens", a-t-il tenu à souligner. Même si la retenue était de mise à Bouira, certains citoyens n'ont pas caché leur satisfaction de voir un homme qui a régné pendant deux décennies quitter le pouvoir. Il n'en demeure pas moins que "la mobilisation doit se poursuivre car il nous reste à déboulonner l'ensemble des figures du système car l'ex-Président n'était que l'arbre qui cachait la forêt" commentera Kaci Saïdani, un des leaders du mouvement estudiantin à Bouira. Scènes de liesse à Sétif Les Sétifiens sont descendus dans la rue pour célébrer le départ de celui qui les a gouvernés pendant vingt ans. Une ambiance bon enfant était de mise, notamment près du siège de la wilaya où un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé. La circulation automobile était très difficile au point que les automobilistes ne pouvaient pas atteindre l'entrée de la wilaya. Ils effectuaient un demi-tour près du secteur militaire pour aller se garer un peu plus loin et revenir à pied pour participer à la liesse. Jeunes et moins jeunes, drapés dans l'emblème national, se sont rassemblés tout au long de la rue de l'ALN, près du portail de la wilaya et ont scandé des slogans hostiles au système. Pour affirmer leur détermination à aller jusqu'au bout des revendications, ils ont entonné en chœur l'hymne national et plusieurs autres chants patriotiques tout en criant haut et fort : "Lebled bladna w ndirou rayna" (le pays est notre pays et nous ferons ce que nous désirons). Jubilation à Tamanrasset Des jeunes et des moins jeunes ont défilé dans les rues de Tamanrasset à l'annonce officielle de la nouvelle tant attendue par le peuple qui vient de prendre un tournant décisif dans l'histoire de l'Algérie post-indépendante. Les manifestants qui se sont rassemblés devant le jet d'eau de l'intersection de Tahaggart, qualifient la démission précipitée de l'inamovible chef de l'Etat de "victoire" arrachée au forceps aux tenants du pouvoir qui ont fait déjà plusieurs concessions depuis le début de la révolte populaire bien avant le 22 février 2019. Ils affirment cependant qu'ils vont poursuivre leur mobilisation pacifique pour contraindre d'autres responsables pro-Bouteflika encore en poste à déguerpir. Les klaxons des automobilistes en liesse accompagnaient les slogans scandés par les manifestants qui ont appelé à poursuivre leur mouvement pacifique jusqu'à l'aboutissement du changement radical du régime en place et la transition démocratique auxquels aspirent les citoyens. Allégresse à Bordj Bou-Arréridj et à Guelma Après six semaines de mobilisation, l'annonce du départ du Président algérien a provoqué une explosion de joie dans les rues de Bordj Bou-Arréridj. En effet, elle a été accompagnée par un concert de klaxons et par des feux d'artifice. Mais pour la population, cette joie reste incomplète puisqu'elle demande le départ de tout le clan Bouteflika. "Nous allons manifester vendredi pour dégager tout le système", dira un manifestant. À Guelma, la nouvelle a été accueillie par une explosion de joie. Des cortèges de véhicules et de motos ont sillonné la ville en klaxonnant dans l'allégresse. Des milliers de Guelmis, toutes générations confondues, ont rallié l'emblématique place du 19-Mars au centre-ville pour manifester leur joie et leur soulagement. Nous avons assisté à une nuit magique au cours de laquelle des jeunes des deux sexes, des familles et des couples accompagnés de leurs enfants, ont chanté à tue-tête et même dansé au son de la derbouka pour célébrer la fin de 20 ans de pouvoir absolu, du clan mafieux, des oligarques et de la corruption. F. A. et correspondants