Dans cet entretien, l'avocat Me Lachemi Belhocine, un des auteurs de la plainte pour la récupération de fonds appartenant aux hommes du régime déposés en Suisse, affirme qu'en cas de refus du Conseil fédéral de donner suite à la requête, un autre dépôt de plainte se fera directement auprès des procureurs de Genève et de Lausanne. Il lance par la même occasion un appel aux Algériens de France, d'Espagne, du Canada et de Belgique pour entamer la même démarche. Liberté : Vous venez de faire appel au Conseil fédéral de la Confédération suisse pour "recouvrer les biens et les avoirs financiers pillés par les dirigeants algériens depuis le jour du soulèvement populaire le 22 février 2019". En quoi consiste cette requête ? Lachemi Belhocine : En tant qu'Algériens et ayant la chance de pouvoir accéder aux autorités helvétiques, sans que personne nous le demande, le Dr Aïssa Boudrama et moi-même avons décidé de faire cette action, car il est de notoriété publique qu'il y a de l'argent illicitement gagné en Algérie qui arrive dans les banques suisses. Il est de notre devoir d'aller dans le sens des revendications du peuple. L'histoire algérienne est en train de s'écrire, et nous tenons à y participer. Sur quelle base légale vous êtes-vous appuyés pour déposer cette requête ? La Constitution suisse permet des actions similaires urgentes. Mais pour compléter ces mécanismes constitutionnels existant depuis 2016, le pays s'est doté d'une loi qui permet facilement ce genre d'action. Plusieurs dirigeants et dictateurs ont été jugés sur la base de cette loi. On peut citer le cas de l'ex-président tunisien Ben Ali à qui on a bloqué quelque 800 millions de dollars, et d'autres comme l'Egyptien Hosni Moubarak et le Congolais Mobutu Sese Seko. Que dit cette loi ? On a constaté que régulièrement, les dictateurs ou les oligarques des Etats voyous mettent leur argent en Suisse, mais dès que la menace se fait sentir, ils se précipitent pour le retirer et le cacher dans les paradis fiscaux. La Suisse, ayant essuyé plusieurs critiques sur ce sujet, s'est finalement dotée d'une loi sur les valeurs patrimoniales d'origine illicite (LVP), permettant au Conseil fédéral d'envoyer des injonctions à toutes les institutions bancaires accréditées de geler tous les avoirs douteux. Et c'est cela que vous demandez à la Confédération helvétique ? Oui. Nous demandons à la Suisse d'appliquer aux responsables algériens la même loi que celle qui a été appliquée à Mobutu, Ben Ali, Moubarak et autres. En d'autres termes, nous lui demandons de prendre des mesures conservatoires en bloquant des avoirs douteux d'Algériens détenus par les institutions bancaires suisses. Ensuite, les procureurs de Genève ou de Vaud feront leur travail. Vous interpellez le pouvoir fédéral, mais vous ne parlez que des procureurs de Genève et de Vaud. Pourtant, la Banque algérienne du commerce extérieur qui a servi de relais, selon la presse, est à Zurich. Pourquoi ? La Banque de Zurich dépend de la Banque nationale d'Algérie. Mais, il est de notoriété publique que les Etats de Genève et de Vaud ont servi de bases arrière aux membres du clan de Bouteflika. Devant la gravité des faits reprochés, ces deux procureurs doivent s'autosaisir. On ne peut pas permettre le blanchiment d'argent, appauvrir le peuple algérien, qui produit des milliers de harragas, et ensuite se plaindre d'un flux migratoire illégal. Quelles sont les faiblesses qui peuvent freiner cette action ? On peut imaginer que la Suisse puisse vouloir éviter un incident diplomatique avec les autorités algériennes. Mais lesquelles ? Aujourd'hui, l'autorité, c'est le peuple, qui a fait le plus gros travail. Dans ce sens, nous restons très optimistes. Concrètement, en fonction de la réponse du Conseil fédéral, jusqu'où peut aller votre action ? Notre action s'arrête lorsque le Conseil fédéral répond positivement. Une procédure spécifique sera enclenchée. Et l'argent sera restitué. Nous laisserons le soin aux représentants du peuple algérien de suivre l'affaire. Dans un cas de refus, nous passerons la vitesse supérieure, à savoir le dépôt de plainte directement auprès des procureurs de Genève et de Lausanne. Notre présente action politique se transformera en action juridique. Je dois juste ajouter que nous avons fait appel à nos concitoyens en France, en Espagne, au Canada, en Belgique, pour qu'ils fassent la même démarche.