La politique menée "de financement non conventionnel", porteuse notamment d'un risque de forte inflation, véritable fléau économique et social, pourrait fragiliser davantage l'économie et appauvrir des franges importantes de la population. Je suis encore émerveillé par la diversité, l'énergie, le civisme et le patriotisme de cette jeunesse à laquelle s'est jointe une population de plus en plus nombreuse. Je suis convaincu qu'elle saura s'inventer un avenir radieux. Pour cela, un nouveau système, nécessaire, requiert pour son instauration plusieurs étapes, dont la première concerne l'élection présidentielle. Pour rompre avec les précédentes pratiques, cette étape exige une période d'instauration d'un plein exercice des libertés individuelles et collectives et d'un cadre favorable à des élections libres et transparentes. Il convient alors de définir la durée, les acteurs et les modalités de réalisation de cette étape, en nous référant à la Constitution actuelle, sans en faire un dogme. Lors d'une réunion organisée dans le cadre de l'élaboration du Rapport sur "les libertés dans le monde arabe", 2001, PNUD (New York) et regroupant des personnalités diverses vivant dans et hors du monde arabe, j'avais posé la question suivante : "Pourriez-vous me citer un pays arabe, en dehors de l'Algérie, dont la Constitution (1996) limite le nombre de mandats présidentiels à deux ?" J'avais développé quelque peu l'idée qu'il s'agissait de l'introduction du principe de l'alternance au pouvoir pour peu qu'il soit accompagné de l'épanouissement du multipartisme et de l'exercice effectif des libertés individuelles et collectives, pour assurer des élections libres et transparentes. Aussi avions-nous inscrit dans le Rapport l'expérience algérienne comme "best practice" au sens de l'ONU. Quelques années plus tard, cet article a été balayé d'un revers de main ; et pour quelle cause ! Ce ne fut pas la dernière fois que nous avions revisité la Constitution, et que même nous l'avions "malmenée". Cela ne signifie cependant pas que nous ne devons pas la respecter pour autant. La loi fondamentale est devenue, parce que souvent évoquée, objet de curiosité. Le nombre de copies vendues a battu ces temps-ci un record. La jeunesse voulait connaître avec un esprit critique tout ce qui régissait le pays, les règles du jeu de la société. Elle s'est progressivement approprié la politique au sens noble du terme alors qu'elle semblait indifférente à "la chose politique", pour construire ce qui sied le mieux à ses légitimes aspirations. Sa mobilisation constitue, pour elle et pour l'ensemble de la société, l'opportunité du XXIe siècle. Nous gagnerons tous à l'accompagner, en évitant de nous laisser nous enfermer dans le juridisme alors que la situation actuelle est totalement inédite. C'est certainement pour cela également que cette dernière est différemment qualifiée. Pour les uns, nous sommes face à une situation révolutionnaire ; pour d'autres, ce qualificatif est inapproprié dans la mesure où les composantes la caractérisant ne sont pas toutes présentes. Aussi préfèrent-ils la qualifier de prérévolutionnaire. D'autres, enfin, évoquent plutôt une restauration du lien, maintes fois rompu, entre Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane, Hassiba Benbouali, Mustapha Ben Boulaïd, Djamila Bouhired et Louisa Ighilahriz — ces deux dernières encore vivantes —, et la jeunesse d'aujourd'hui. Celle-ci réconcilie ainsi la société avec son histoire immédiate, tout en se projetant dans le futur. Quoi qu'il en soit, qui pourrait, ici et ailleurs, nous reprocher de chercher, avec intelligence, à respecter la Constitution lorsqu'elle permet de progresser dans la réalisation de l'objectif assigné et de s'en écarter quelque peu lorsqu'elle devient une entrave ! C'est ainsi par exemple qu'un homme d'Etat et non de pouvoir devrait se définir également par une capacité de renoncement au nom de l'intérêt général, surtout lorsqu'il n'est plus accepté par le plus grand nombre, alors même qu'il occupe le poste de par la Constitution. C'est son devoir et son droit. Pour bénéficier de la confiance de la population, les nouveaux acteurs qui doivent gérer la période doivent être dévoués, compétents, intègres et transcender toute idéologie. La mobilisation de tels acteurs, nécessairement représentatifs, exige une démarche que la Constitution actuelle n'a pas prévue. Sans faire de la durée un autre dogme, la période devrait s'achever le plus rapidement possible dans l'intérêt de la société et de l'économie. Même s'il y a ici et là de la production, notre économie reste vulnérable parce que fondamentalement exportatrice primaire dont le centre dynamique est le secteur des hydrocarbures. Cela ne laisse pas indifférent le comportement de nos partenaires étrangers qui n'apprécient guère les périodes de ce genre, généralement porteuses de peu de visibilité et, partant, d'inquiétude. La politique menée de "financement non conventionnel", porteuse notamment d'un risque de forte inflation, véritable fléau économique et social, pourrait fragiliser davantage l'économie et appauvrir des franges importantes de la population. Aussi convient-il de mener les réformes structurelles le plus tôt possible, avec l'adhésion du plus grand nombre possible. C'est pour cela que nous devrions prendre en considération aussi bien le temps "économique" que le temps "politique" de manière à préserver le mieux possible notre économie et à réunir les meilleures conditions possibles à une élection présidentielle libre et transparente. Celle-ci, une fois réalisée dans un intervalle avoisinant les six mois, aura effectué un saut qualitatif, pour avoir rompu avec les anciennes pratiques. Elle constituera alors un élément fondamental du nouveau système dont l'instauration passe par d'autres étapes dans un climat politique plus favorable. Une telle démarche, graduelle et maîtrisée, paraît bien appropriée pour traverser une transition apaisée, par étapes successives et articulées autour d'un programme préalablement élaboré. L'histoire nous enseigne en effet que les périodes de transition ne se déroulent pas toujours de manière linéaire : "Les intérêts, les allégeances, les alliances et les démarcations sociales se font et se défont à une vitesse vertigineuse." Plus la durée est longue et plus la situation se complexifie, avec le risque de dévier de sa véritable trajectoire. Il arrive parfois même de perdre ce que nous avions sans parvenir à ce à quoi nous aspirions. Bien entendu, encore une fois, la jeunesse doit être au cœur de tous ces processus. A. R. (*) Professeur d'économie, avocat omis, Abdelouahab Rezig a été doyen de la Faculté des sciences économiques d'Alger, directeur du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), directeur du Centre de développement des Nations unies pour l'Afrique du Nord, recteur de l'Université d'Alger 3, membre du Conseil national économique et social (Cnes), membre du conseil consultatif du rapport des Nations unies sur le développement humain dans le monde arabe (Pnud). Il a, en outre, été professeur associé et/ou invité notamment aux universités de Naples, de Lyon II, de Grenoble et de Tampere. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages.