Dans une tribune publiée dans Liberté de ce jeudi, le professeur en management à HEC Montréal, Taïeb Hafsi, rapporte que lors d'une visite de courtoisie à laquelle il a été convié par Abdelmalek Sellal, ce dernier lui a dit à propos d'Issad Rebrab : "Dis-lui de profiter de son argent et d'arrêter de vouloir faire des choses." Cette phrase, sortie de la bouche d'Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre de Bouteflika, illustre amplement l'attitude du système à l'égard d'Issad Rebrab et de ses investissements. Elle sonne aussi comme un double aveu : d'une part, le développement économique du pays n'était guère le souci du régime de Bouteflika et de ses "alliés" et, d'autre part, les blocages subis par le groupe Cevital tout au long de ces vingt dernières années ne reposaient sur rien d'autre que cette volonté, ainsi dévoilée, de briser un homme qui ne s'inscrivait pas dans la logique prédatrice de ce régime. L'on comprend que l'homme dérangeait parce qu'il a toujours été aux antipodes de cette nuée d'affairistes qui assuraient le régime politique de leur "soutien", mandat après mandat, et qui, en retour, avaient accès à la commande publique et aux largesses des gouvernants en charge de la distribution de la rente. C'est parce que M. Rebrab a refusé de s'incrire dans cette logique du partage de la rente entre "alliés" qu'il a fini par devenir, aux yeux des parrains de la "îssaba", une menace pour les intérêts du système et de ses clientèles. Pour arriver à leur fin, il leur fallait bloquer Cevital, et ils l'ont fait. Sauf que, ce faisant, ils ont provoqué un immense manque à l'économie nationale. Le mégaprojet portuaire de Cap Djinet, à Boumerdès, aurait pu générer un million d'emplois et 32 milliards de dollars à l'exportation. Le complexe Oxxo, dans la wilaya de Tizi Ouzou, devait générer plus de 2 000 emplois directs et entre 8 000 et 10 000 emplois indirects. L'usine de trituration de Cevital, bloquée depuis plus de deux ans, aurait créé 1 000 emplois directs et 100 000 emplois indirects dans le secteur de l'agriculture dans toute la région Est du pays. Le projet EvCon de fabrication de membranes pour la production d'eau ultra-pure aurait permis un revenu de 15 milliards de dollars. "Dans tous les pays du monde, un entrepreneur privé qui veut investir est encouragé. Là, on voulait absolument décourager son désir de construire son pays", écrit encore le Pr Hafsi. "Issad Rebrab a été capable de financer ses opérations surtout parce qu'il a réinvesti l'intégralité de ses profits, année après année (…). Sur 100 DA de valeur créée (100%), Cevital payait 60 DA en impôts et taxes (60%), 39 DA étaient réinvestis (39%) et seulement 1% était distribué aux actionnaires", explique-t-il. Ce qui ne cadre pas avec le moule du système qui avait toujours besoin de patrons rentiers qui dépendent de lui et seulement de lui. Et sur lesquels il peut s'apuyer pour assurer sa pérennité. La récente mise sous mandat de dépôt d'Issad Rebrab, exhibée comme un trophée de la "lutte contre la corruption", cache mal les vrais desseins des scénaristes de ce mauvais film. Saïd Smati