Ils étaient plus de 2 000, tous salariés chez Tonic Emballage à manifester, hier, leur colère, mêlée à de la tristesse depuis que 600 travailleurs sur les 4 000 que compte l'entreprise Tonic ont été mis au chômage technique. Grande était hier l'émotion à Bou Ismaïl où tout ce beau monde, muni de banderoles, affichait sa colère et surtout la peur du lendemain. Fait à signaler : ces protestataires nous déclarent inscrire leur action en solidarité avec leurs collègues et surtout avec leur entreprise “qui est en bonne santé”. “Nous la connaissons, nous travaillons dedans et c'est devenu notre mère et notre père”, lance cet employé. Ils interpellent les pouvoirs publics pour aider leur entreprise afin qu'elle puisse terminer son élan d'investissement “qui fait la fierté de l'industrie du pays”. Que se passe-t-il réellement pour que ces salariés en arrivent à attendre “à chacun son tour d'être licencié” ? Dans cette mobilisation générale où les cadres et les travailleurs avancent pour le même objectif, il faut savoir que c'est un véritable plan de sauvetage de l'entreprise qui a rendu inéluctable cette compression. Paradoxalement, disent-ils, “nous avons des marchés sérieux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, mais faute de matière première nous n'arrivons plus à les satisfaire”. Plusieurs machines et autres équipements de dernière génération ainsi que des ateliers entiers sont à l'arrêt alors que la production ne dispose que de deux mois de stock de matière première. Ce cri d'alarme est lancé pour dire que toute cette technologie investie à coups de milliards risque de s'effondrer, si une solution d'urgence n'est pas rapidement trouvée pour réapprovisionner ces machines. Par ailleurs, nous avons appris par d'autres sources proches des milieux d'affaires, que des équipements de dernière génération commandés par Tonic et financés à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros pourrissent dans les enceintes portuaires, exposés à la rouille. Cette entreprise privée, engagée dans des investissements colossaux, semble ne plus savoir où donner de la tête, prise dans l'engrenage d'un assèchement financier qui met en péril ses réalisations dont la plus importante — un complexe papetier — devait créer plus de 2 000 emplois. Tout semble indiquer que les vannes bancaires boudent l'élan de Tonic dont l'avancée a été retardée, nous assure-t-on par l'absence de communication et le manque de compréhension avec les institutions en charge de l'accompagnement des actions d'investissement. Aujourd'hui, chez Tonic, faute de matière première et de possibilité d'approvisionnement, la machine a perdu de sa vitesse “à raison de 30%”. L'assurance de voir le plan de soutien à la relance économique booster les investissements “tel qu'il a été annoncé par le président de la République, nous a encouragés à multiplier nos efforts en vue d'aller de l'avant et d'internationaliser le produit algérien via notre entreprise”, soutiennent les cadres de Tonic, en l'absence du P-DG de cette entreprise que nous n'avons pu joindre. En outre, ils disent avoir été “quelque peu pénalisés dans nos actions de formation du personnel qui nous a pris du temps, pendant trois ans”. D'autres estiment qu'il est temps que les pouvoirs publics se penchent sur la question pour “redonner confiance aux banques algériennes pour s'intéresser de près aux investissements réels et pour les accompagner”. En tout cas, pour l'entreprise Tonic, il n'y a qu'à la visiter pour se rendre compte de l'étendue de l'investissement et de sa facture. Il est “criminel” de songer à ce que cette entreprise, fleuron de l'emballage et du papier, reconnue même hors frontières soit sacrifiée par quelque appréhension bancaire. Ce serait l'effet d'un séisme pour le privé algérien et surtout un autre facteur risque pour le pays. Quant à la banque, elle est solidairement engagée, son sort est fonction de l'avenir de cette entreprise, dont elle semble ne pas mesurer le niveau de son avancée. À qui profitera cette asphyxie et est-ce la solution ? ABDELKRIM WAHIB