Ni la fatigue due au Ramadhan et encore moins le soleil de plomb n'ont empêché des centaines de personnes à venir pour cet ultime hommage à celui qui a préféré mourir pour ses idées que de choisir une autre destinée. Pour son ultime acte de lutte, feu Kamal-Eddine Fekhar a réuni la famille militante à son enterrement. Ils étaient, hier, des centaines de citoyens à se donner rendez-vous au carré mozabite du cimetière d'El-Alia, à Alger, pour un dernier hommage au militant et défenseur des droits de l'Homme. C'était un moment de recueillement, mais aussi de révolte contre un système politique scélérat. Comme il l'avait souhaité, le Dr Fekhar a été inhumé à Alger. Sa communauté, venue en force assister à l'enterrement, n'a pas hésité à porter des accusations franches et directes contre les autorités locales à Ghardaïa. Les mêmes personnes dénoncées seront, selon des avocats, poursuivies devant la justice pour avoir "prémédité l'assassinat de Fekhar". C'est sous les cris de "Pouvoir assassin", "Ulac smah ulac" (pas de pardon), ou encore "Assa azekka Fekhar yella yella" (aujourd'hui, comme demain, Fekhar sera toujours avec nous) que la foule compacte a tenu à accompagner le défunt à sa dernière demeure. Ni la fatigue due au Ramadhan et encore moins le soleil de plomb d'hier n'ont empêché ces centaines de personnes à venir pour cet ultime hommage à celui qui a préféré mourir pour ses idées que de choisir une autre destinée. Arrêté le 31 mars avec Hadj-Brahim Aouf et accusé d'avoir attenté à une autorité publique et de vouloir influencer la justice, le Dr Fekhar et son codétenu ont été mis illico presto en détention provisoire. Selon ses avocats, dont Me Salah Dabouz, les deux détenus ont été incarcérés dans des conditions "inhumaines". "Ils ont été emprisonnés dans une pièce de 2 m2 dont la moitié était occupée par un siège turc en guise de toilettes." Les deux détenus devaient faire face, toujours selon Salah Dabouz, aux mêmes conditions lors de leur transfert à l'hôpital de Ghardaïa après la dégradation de leur état de santé. Hadj-Brahim Aouf a témoigné que, quelques jours avant le transfert de Fekhar vers l'hôpital de Blida, "il s'était évanoui durant plus d'une heure et demie et les gardiens ont refusé même de m'aider à le soulever pour l'aider à s'asseoir sur une chaise". Affaibli lui aussi, Hadj-Brahim Aouf devait faire beaucoup d'efforts pour aider son compagnon de cellule à se mettre sur une chaise. "C'est une chose horrible pour moi, cette réaction des gardiens", regrette-t-il, estimant que le choc provoqué par cette non-assistance à personne en danger est à inscrire dans les annales des affres que subissent les Algériens. Hommage appuyé des militants politiques Ils sont militants du FFS, du RCD, du PT, du MDS, du MAK, du RPK, de l'URK ou sans appartenance partisane particulière, comme des avocats et des activistes politiques ou d'anciens détenus, les présents, hier, ont tenu à l'unanimité à rendre un hommage appuyé au défunt Dr Fekhar. Saïd Sadi, Ali Laskri, Arezki Aït Larbi, Fethi Gherras, Mokrane Aït Larbi, Bouaziz Aït Chebib, Nadia Matoub, Kamira Naït Sid, Karim Tabbou, Mustapha Bouchachi, Salah Hanoune, Amar Zaïdi, Arezki About, Hakim Saheb, Arezki Lakabi, Aziz Tari, Mouloud Lounaouci et plusieurs autres jeunes militants ont tenu à témoigner "de la grande valeur militante" du défunt. "Il croyait en la cause qu'il défendait", ont-ils souligné, considérant qu'il a choisi "de mourir dignement plutôt que de vivre sous la dictature qu'il a toujours combattue". "Il est mort en défendant ses opinions et la liberté", a indiqué un jeune venu de Tébessa pour assister à l'enterrement. Merzoug Touati, ancien détenu, a abondé dans le même sens en rendant aussi un hommage à tous les autres détenus d'opinion. Saïd Sadi, ancien président du RCD, a estimé que le Dr Fekhar "est un militant qui est resté fidèle à ses convictions du début jusqu'à la fin". Le Dr Sadi a ajouté que le défunt mérite tous les respects et que même le jour de sa mort "il a tenu à honorer cette communauté pour la rendre plus visible". L'ancien chef du RCD a souligné qu'on "espère que l'Algérie plurielle saura comprendre qu'elle doit accepter l'ensemble de ses composantes qu'elles soient culturelles, linguistiques ou religieuses". Karim Tabbou a, pour sa part, estimé que le décès de Fekhar "nous encourage à nous battre davantage pour arracher notre liberté". Il a ajouté qu'actuellement et avec ce sacrifice du Dr Fekhar "le pouvoir n'aura plus jamais d'opportunité ou d'occasion pour réprimer les Algériens". Ali Laskri, coordinateur de l'instance présidentielle du FFS, a estimé que Kamal-Eddine Fekhar "est un grand militant" qui a fait "ses débuts au sein du FFS". Il a rappelé que le défunt a travaillé avec Hocine Aït Ahmed et qu'il est devenu une icône de la lutte pour les libertés pour tous les Algériens. Nadia Matoub, veuve de Lounès, a estimé, quant à elle, que le Dr Fekhar "est un militant de grande valeur qui a su mener un combat juste et digne". Elle a ajouté que Fekhar et Lounès "ont été tués pour ce qu'ils représentent ce qu'ils défendent et ce qu'ils veulent atteindre, à savoir la liberté". Bouaziz Aït Chebib, ancien président du MAK, a souligné, pour sa part, que Fekhar "était un homme qui croyait en ses idées et les défendait avec abnégation et sérieux". Kamira Naït Sid, présidente du Congrès mondial amazigh (CMA), a estimé que "les militants n'ont pas su défendre Fekhar lorsqu'il subissait les affres du pouvoir". "Nous nous excusons auprès de lui pour ne pas l'avoir défendu comme il se doit", a-t-elle encore dit, considérant que son sacrifice "doit servir d'exemple pour que tous les militants se solidarisent avec les autres détenus d'opinion en Algérie, au Maroc et dans tous les pays de thamazgha". Me Salah Hanoun, avocat et défenseur des droits de l'Homme, s'est dit "surpris par le silence de l'ordre national des médecins". Il a expliqué que le défunt "est mort en détention" et il était "médecin et défenseur des droits humains". Pour l'avocat, même les conditions inhérentes à sa prise en charge médicale lors de sa détention doivent interpeller l'ordre des médecins, d'autant plus que c'est l'un de leurs confrères. Me Hanoun a précisé que l'avocat de Fekhar n'a pas cessé de tirer la sonnette d'alarme quant aux carences de la prise en charge médicale du détenu. Ce qui devrait, selon lui, interpeller l'ordre des médecins pour qu'il sorte de son mutisme. Les centaines de jeunes Mozabites venus rendre un dernier hommage à leur leader étaient dignes. Malgré l'affliction due à cette "mort suspecte", ils ont tenu à honorer leur martyr. "Ton sacrifice ne sera pas vain", ont-ils crié. "Le combat continue et les idées que tu as semées seront portées par toute la communauté", ont-ils encore dit.