Des dizaines d'avocats se sont constitués bénévolement et spontanément pour défendre les manifestants, en mandat de dépôt ou sous contrôle judiciaire pour avoir porté l'étendard amazigh pendant les marches contre le régime. Me Bouzid fait le point de la situation dans cette interview. Liberté : Pour les mêmes accusations, de jeunes manifestants sont placés en mandat de dépôt à Alger, cités à comparution directe et jugés à Jijel et à Chlef, placés sous contrôle judiciaire à Oran et pas du tout poursuivis à Tamanrasset. Comment expliquez-vous ces différences dans les décisions des magistrats en charge des dossiers ? Me Yacine Bouzid : La différence des décisions n'est pas un fait nouveau dans le domaine judiciaire. Cela relève même du principe de l'indépendance de la justice ; pourvu que ces décisions soient conformes aux textes en vigueur, que ce soit en statuant sur le fond ou concernant les mesures de sûreté. Dans ce cas précis, et sans parler du fond, c'est-à-dire quelles que soient les accusations portées à l'encontre de ces jeunes, la détention provisoire, une mesure exceptionnelle, ne peut intervenir qu'après avoir constaté "l'insuffisance des mesures de contrôle judiciaire" conformément à l'article 123 du code de procédure pénale, et uniquement dans les cas cités par le même article. Donc, pour le cas des détenus de l'emblème amazigh, les conditions de mise en détention provisoire ne sont pas réunies et la libération immédiate et inconditionnelle de tous ces détenus s'impose. Les collectifs de défense ont décidé de boycotter les audiences. Comment une telle démarche serait-elle bénéfique pour les détenus d'opinion ? Pour ces jeunes détenus, la seule démarche bénéfique est leur libération immédiate et inconditionnelle, sachant que chaque jour passé en détention constitue une violation de la loi et une atteinte flagrante aux droits de l'Homme. À défaut, de quelle façon la décision de boycotter peut-elle être bénéfique ? Je répondrai par cette question : de quelle façon la plaidoirie peut-elle être bénéfique, sachant qu'en date du 7 juillet 2019 la chambre d'accusation a maintenu la décision de mise en détention provisoire malgré les arguments juridiques pertinents soulevés par les avocats. La plaidoirie n'est finalement qu'une simple formalité. Les droits de la défense sont alors bafoués et les garanties d'un procès équitable sont remises en cause. La décision de boycotter est à saluer car elle constitue un refus catégorique de cautionner de pareilles pratiques. La date du procès est-elle fixée ; la détention provisoire va-t-elle consommer les quatre mois ou sera-t-elle renouvelée pour une durée identique ? À ma connaissance, aucune date n'est encore fixée, à l'exception d'un dossier prévu pour le 28 du mois en cours devant le tribunal de Chlef. La durée de la détention provisoire relève de l'appréciation exclusive du magistrat chargé de l'instruction. Dans quel état d'esprit sont les jeunes détenus ? Nul ne peut rester indifférent à la prison quelle que soit sa force de caractère, surtout lorsqu'on est incarcéré injustement. Je pense que ces jeunes ne font pas exception. Toutefois, le fait de savoir que leurs familles, des citoyens et les avocats sont mobilisés pour leur libération constitue une source de réconfort et de soutien moral dans cette rude épreuve. Quelle est votre propre interprétation, en tant que juriste, de l'emprisonnement de citoyens à cause d'un étendard identitaire ? L'un des principes fondamentaux du droit pénal et "le principe de la légitimité" ; légitimité des infractions, des poursuites, des peines et des mesures de sûreté. L'article premier du code pénal stipule clairement qu'il n'y a pas d'infraction, ni de peine ou mesure de sûreté sans loi. À partir de là et devant l'absence d'un texte pénal clair qui incrimine le port de l'emblème berbère, la poursuite et la mise en détention provisoire de ces jeunes constituent une violation flagrante du principe de la légitimité et de la loi pénale.