“Double rupture”, “islamisme prédateur”, “système rentier et bureaucratique”. Modèles déposés : El-Hachemi Chérif… El-Hachemi Chérif est mort. Vive El-Hachemi Chérif ! Ce grand homme est parti. Ce monstre politique au verbe cru et incisif vient de nous quitter presque sur la pointe des pieds. Lui, si bavard dans l'arène politique, tire ainsi sa révérence au moment où le pays et tous ceux qui sont épris de démocratie ont tant besoin de ses éclairages et de ses sentences idéalistes en apparence, mais toujours vérifiés sur le terrain. Le fait est que “si El-Hachemi”, comme l'appellent affectueusement ses amis, ne laisse personne indifférent. Partisans et adversaires reconnaissent les immenses qualités de l'homme. La perspicacité de ses analyses. Mais surtout la rectitude morale qui a fait de lui l'un des rares hommes politiques à adopter une ligne de conduite dont la constance n'a jamais été démentie. Ni le confort du pouvoir ni les avantages de la rente et encore moins la menace des intégristes n'ont eu raison d'un homme resté incorrigiblement lui-même. C'est-à-dire un militant impénitent de la démocratie loin des compromissions. Il en fera d'ailleurs une mission quasi sacerdotale durant la décennie rouge en prônant une devise presque proverbiale qui proclame la “double rupture avec le système rentier bureaucratique et l'islamisme prédateur”. C'est évidemment tout un programme politique pour El-Hachemi Chérif qui a transformé le Mouvement démocratique et social qu'il a créé sur les décombres du PAGS en une matrice de militants républicains résolument décidés à croiser le fer avec le couple pouvoir-islamistes. Ce dernier qu'il a attaqué de front avait d'ailleurs tenté de l'assassiner au début des années 90 chez lui au Télémly. Le regretté a sans doute fait son deuil sur une éventuelle réforme du régime. Surtout pas de l'intérieur ! Sur quinze années de pluralisme politique et électoral, le MDS boycottera systématiquement les différents scrutins organisés, dénonçant invariablement des “élections biaisées”, estimant à chaque fois que les islamistes avaient la part belle. Si El-Hachemi ne partage pas non plus les mêmes lectures avec les acteurs de sa famille politique. En l'occurrence, il a toujours refusé de souscrire à un “pôle démocratique” qui se construit “à la veille des élections”. En fin connaisseur de la nature du régime et des liens étroits de ce dernier avec les islamistes, il est convaincu que le “couple” ne pouvait pas divorcer parce qu'ils sont réunis par une connexion d'intérêt. Sur ce registre également, El-Hachemi Chérif a vu juste. Il a toujours estimé que les deux protagonistes qui se partagent le pouvoir ont le seul objectif : “Neutraliser les forces démocratiques dans ce pays.” La rahma, puis la concorde, puis la grâce amnistiante et enfin l'amnistie générale et son pendant la réconciliation nationale sont aux yeux de feu El-Hachemi Chérif des concepts qui n'ont qu'une seule finalité : réhabiliter l'islamisme politique et mater l'espoir démocratique. À la décharge de ses détracteurs, les jugements politiques de si El-Hachemi sont aussi clairvoyants que son regard de brillant cinéaste qu'il fut. Il a écumé l'arène politique quinze années durant sans qu'il n'ait ne serait-ce qu'un strapontin dans les institutions publiques. El-Hachemi Chérif n'est certes plus de ce monde, mais il a légué à ses camarades plus qu'un programme, une philosophie politique. Repose en paix, El-Hachemi, dans ton sommeil du juste ! HASSAN MOALI