La Constitution est pourtant claire à ce sujet. Elle ne permet pas à un chef d'Etat intérimaire de toucher à la composante de l'exécutif. Argument que le même chef de l'Etat a sorti pour rejeter le préalable du panel conduit par Karim Younes, le départ du gouvernement Bedoui. Pour une surprise, c'en est une ! Contre toute attente, le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, a limogé le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Slimane Brahmi, et nommé à sa place le procureur général de la Cour d'Alger, Belkacem Zeghmati. "Le chef de l'Etat, M. Abdelkader Bensalah, a mis fin, ce jour, mercredi 31 juillet 2019, aux fonctions du ministre de la Justice, garde des Sceaux, exercées par M. Slimane Brahmi", a indiqué la présidence de la République dans un communiqué rendu public hier. Et d'ajouter : "Conformément aux dispositions de la Constitution, le chef de l'Etat a nommé M. Belkacem Zeghmati, ministre de la Justice, garde des Sceaux, après consultation de M. le Premier ministre". En plus du ministre, le chef de l'Etat a aussi remercié le secrétaire général du ministère de la Justice Samir Bourehil en le remplaçant par M. Mohamed Zoughar. Un problème, toutefois. L'actuelle Constitution n'autorise aucunement le chef de l'Etat à remercier, voire à remanier la composante du gouvernement actuelle jusqu'à l'élection d'un président de la République. En effet, l'article 104 de la Constitution stipule clairement que "le Gouvernement en fonction au moment de l'empêchement, du décès ou de la démission du président de la République, ne peut être démis ou remanié jusqu'à l'entrée en fonction du nouveau président de la République". Question : pourquoi Abdelkader Bensalah s'est octroyé cette prérogative lui qui, il y a une semaine à peine, face à Karim Younes et ses amis du panel pour la médiation et le dialogue, s'est engagé à satisfaire presque tous leurs préalables, avant bien sûr que le chef de l'état-major de l'ANP Ahmed Gaid Salah n'oppose son niet, sauf celui se référant au départ départ du gouvernement de Noureddine Bedoui ? Enigme. Il reste que cette décision de Bensalah est de nature à apporter de l'eau au moulin de ceux qui reprochent au pouvoir actuel d'utiliser la Constitution héritée de l'ère du président déchu Abdelaziz Bouteflika à sa seule convenance en lui faisant dire tout ce qu'il veut ou presque quand il n'y passe pas outre si d'aventure elle n'arrange pas ses plans. Reste maintenant à connaître les raisons de ce limogeage. Le communiqué de la Présidence n'en a fourni aucune. Mais l'on ne peut pas ne pas relever qu'il se soit produit au lendemain de la sortie tonitruante du chef d'état-major, Ahmed Gaid Salah, qui, dans son discours de mardi 30 juillet 2019, a soutenu : "Les institutions de l'Etat et l'appareil de justice ont démasqué les intentions pernicieuses de la bande et se sont mobilisés, plus que jamais, afin de faire réussir l'opération de lutte contre la corruption, atteindre son objectif, relever le défi de traiter les dossiers de corruption présentés auprès de la justice et juger ceux qui y sont impliqués, avec rigueur, impartialité et sérénité, notamment après que le Haut-Commandement de l'Armée nationale populaire s'est engagé à fournir les garanties suffisantes pour accompagner les mesures qu'a prises et que prend encore la justice dans ce domaine". Question : le ministre limogé aurait-il freiné le bon déroulement de cette campagne anticorruption ? Aurait-il usé de son poste pour protéger, comme l'ont avancé certains, des responsables? C'est possible. Mais à voir la violente charge du vice-ministre de la Défense nationale contre les porteurs d'emblème amazigh qu'il a traités, un brin méprisantn d'"individus" et à qui il a dénié la qualité de "prisonniers politiques", il n'est pas exclu aussi que le limogeage de M. Brahmi et du secrétaire général du ministère de la Justice ait un lien avec la libération par le tribunal de Chlef de deux jeunes manifestants arrêtés le 21 juin dernier lors d'une marche pour avoir brandi l'emblème amazigh.