Alors qu'on pensait que la cause de Gaïd Salah était entendue, voilà que l'homme sent le besoin de revenir à la charge. Y aurait-il des oppositions au sein du sérail politique à sa démarche ? Nouveau coup de sommation hier d'Ahmed Gaïd Salah. Deux jours après avoir "suggéré" la convocation du corps électoral le 15 septembre sans se référer aux institutions politiques, le chef de l'armée a insisté, hier à partir de Biskra, sur la nécessité de respecter les délais qu'il a fixés. Estimant que la situation "ne peut plus tolérer plus de retard", le chef d'état-major de l'ANP a réitéré son appel à la tenue de l'élection présidentielle "dans les délais que j'ai évoqués lors de ma précédente intervention". Il rappelle, une fois de plus, que ces délais "sont raisonnables et acceptables" et "reflètent une revendication populaire insistante, à même d'instaurer l'Etat d'équité et de droit". À qui s'adresse le message d'Ahmed Gaïd Salah ? La question mérite d'être posée, d'autant plus que la "proposition" formulée, il y a deux jours, à In Amenas, ne semble pas avoir eu l'écho attendu. Pis encore, l'adresse du chef de l'armée semble avoir pris de court une classe politique plus préoccupée par l'issue des initiatives de dialogue en cours que par la fixation d'une date pour une élection présidentielle qui ne fait même pas consensus dans le pays. Alors qu'on pensait que la cause de Gaïd Salah était entendue, voilà que l'homme sent le besoin de revenir à la charge. Y aurait-il des oppositions au sein du sérail politique à sa démarche ? Les secrets d'alcôve du régime étant toujours plus ou moins bien gardés, aucune déclaration émanant des responsables politiques à la tête du pays n'est venue répondre à la question. Mais le silence d'Abdelkader Bensalah, qui demeure le chef de l'Etat malgré l'expiration des délais constitutionnels qui justifient son maintien à la tête de l'Etat, est intrigant. Cela fait, en effet, plusieurs semaines que l'homme, certes malade, s'est muré dans un silence assourdissant. Des médias ont même évoqué sa mise à l'écart des centres de décision. Pour faire taire les rumeurs, le chef de l'Etat a organisé une réception avec le Premier ministre, Noureddine Bedoui. Le malaise était perceptible entre les deux hommes. Et, fait significatif, la question politique liée à l'élection présidentielle notamment et au "dialogue" en cours a été bonnement évacuée. Les deux têtes politiques de l'Exécutif ne se sentent-elles pas concernées ? Des contradictions publiques Si les clivages au sommet de l'Etat n'apparaissent jamais ou rarement au grand public, les contradictions entre le chef d'état-major et le chef de l'Etat sur la manière de conduire le processus politique de sortie de crise se multiplient. Fin juillet, alors qu'Abdelkader Bensalah promet au panel de médiation et de dialogue de prendre des "mesures d'apaisement" avant d'envisager un dialogue, Ahmed Gaïd Salah le recadre sèchement quelques jours après. Aux promesses du chef de l'Etat de libérer les détenus d'opinion, de desserrer l'étau autour de la capitale et d'envisager le départ du gouvernement de Nourredine Bedoui, le chef de l'armée oppose clairement un niet catégorique. Selon lui, les détenus d'opinion sont "des traîtres" et le gouvernement faisait "bien son travail". Depuis, Karim Younès et son équipe attendent d'hypothétiques "gestes d'apaisement" qui n'arrivent toujours pas. Hormis la libération de quelques détenus arrêtés pour port de l'emblème amazigh, les autorités ont ignoré les autres revendications. Quant à Karim Younès, il continue de clamer qu'il attend toujours la "tenue des promesses" du chef de l'Etat. Agacé par tant d'attente, l'ancien président de l'APN a même fini par lâcher que "chacun prendra ses responsabilités" en cas d'échec du dialogue à cause de l'entêtement de l'armée. En plus de fixer lui-même la date de la convocation du corps électoral et donc, par ricochet, celle de la tenue de la présidentielle sans attendre une annonce politique, le chef d'état-major de l'armée ferme la porte à d'autres pistes de sortie de crise. Dans sa courte allocution prononcée hier à Biskra, il rappelle, une nouvelle fois, que l'institution militaire ne négociera avec personne et qu'elle restera "attachée à une résolution de la crise dans un cadre constitutionnel". Ceux qui refusent l'option du pouvoir sont logés dans la case de ceux qui s'acharnent "sur l'institution militaire" et exécutent un "plan abject" dont l'objectif est de "bloquer et de neutraliser le rôle de l'armée, qui a donné un exemple à tous, en termes de dévouement, de loyauté et de protection de la patrie, et a prouvé, sur le terrain, sa capacité à consacrer le lien solide entre le peuple et son armée". Pour marquer sa bonne foi, le chef de l'armée rappelle que le commandement de son institution "était le premier à répondre aux revendications populaires avant tout autre partie" en écartant Abdelaziz Bouteflika du pouvoir. Une décision qui a "menacé les intérêts de la bande et de ses acolytes et a mis en échec leurs plans visant à redéfinir le paysage national général selon leurs envies et celles de leurs maîtres". Pour "accabler" encore une fois cette "bande", devenu un leitmotiv dans ses discours, Ahmed Gaïd Salah rappelle que les proches d'Abdelaziz Bouteflika n'avaient pas "hésité" à "déposséder et à accabler" le peuple algérien. Puis, s'adressant à des ennemis visiblement liés à "la bande", le chef de l'armée les accuse d'être aveuglés par "l'égoïsme" de ceux qui ne "connaissent pas la valeur de ce pays et de son peuple", qui "excellent dans la diffamation et la médisance et tentent vainement d'induire en erreur l'opinion publique et semer le doute sur toute initiative nationale salutaire pour résoudre la crise, œuvrant à pousser notre pays vers des méandres aux issues incertaines, au service des intérêts de la bande et de ceux qui gravitent autour d'elle". Cette nouvelle sortie médiatique d'Ahmed Gaïd Salah, la troisième en quatre jours, précède de quelques heures la publication des synthèses des rapports de la commission de médiation et de dialogue. Ce document, censé servir de base de travail à la préparation de la future élection présidentielle, est déjà contesté. Y compris d'acteurs en principe favorables à la tenue d'une élection présidentielle. Ce qui complique davantage la tenue d'une élection présidentielle dans les délais fixés.