Présentée comme la panacée qui réglera tous les problèmes du pays, l'instance de dialogue et de médiation collectionne les échecs. Alors que Karim Younès s'apprête à remettre le rapport final au chef de l'Etat, il est court-circuité par le dernier discours de Gaïd Salah qui a fixé le calendrier électoral sans attendre les conclusions du panel. Trois mois après son installation officielle par le chef de l'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, le panel de médiation et de dialogue s'apprête à rendre public son rapport final. Au lieu de la conférence nationale de dialogue, présentée comme souveraine, le panel se contentera d'un rapport de mission où les chiffres de nombre de partis et personnalités rencontrés se disputeront l'espace aux "recommandations politiques". On y trouve, entre autres, des propositions de lois relatives à la haute autorité nationale des élections et des amendements à apporter à la loi électorale. Deux textes importants en cette période qui font consensus au sein de la classe politique. Il y est question, également, des "mesures préalables" en prévision de la tenue de la prochaine élection présidentielle. Pour l'heure, la remise du rapport final au chef de l'Etat par intérim est conditionnée par le bon vouloir de ce dernier. "Le rapport est prêt. Mais nous ne savons pas quand nous allons le remettre" à la présidence de la République. "Je ne suis pas maître de l'agenda de la République", a fini par concéder le coordinateur du panel, hier, à l'issue d'une rencontre avec des juristes. L'homme semble être agacé, mais il laisse passer les coups, comme c'est le cas depuis le début de sa mission. Malgré les rappels à l'ordre et les niet systématiques d'Ahmed Gaïd Salah qui refuse d'entendre parler de mesures d'apaisement et du départ de l'actuel gouvernement, le panel persiste à revendiquer la mise à l'écart de l'actuelle équipe gouvernementale. Le juriste Bouzid Lazhari — contesté lui aussi pour ses accointances avec l'ancien régime de Bouteflika — a rappelé, hier, lors d'une rencontre avec la presse, que le panel revendiquait toujours le départ de Noureddine Bedoui. Et si le pouvoir refuse, comme l'a rappelé à maintes reprises le chef d'état-major de l'ANP ? "Chacun assume ses responsabilités", avait répondu, agacé, Karim Younès, la semaine dernière. Chargé de "rapprocher" les différents points de vue présents sur la scène politique nationale, le panel de dialogue et de médiation n'a, en réalité, rencontré que les forces acquises à la tenue d'une élection présidentielle comme seule et unique solution à la crise. C'est ainsi que les deux têtes du pouvoir ont décidé que le dialogue devait porter exclusivement sur la tenue d'une élection présidentielle, seule solution de sortie de crise. Parmi les partis et personnalités les plus en vue qui ont accepté de rencontrer l'équipe à Karim Younès figurent Ali Benflis et Soufiane Djilali. Mais à l'image du reste de la classe politique, ces deux chefs de parti refusent de suivre le pouvoir dans sa logique d'aller, à tout prix, vers l'élection présidentielle sans prendre le temps de la réflexion et sans la réunion des conditions d'un scrutin irréprochable. Pis encore, Soufiane Djilali, qui a déclaré avoir suspendu toute discussion depuis que le chef de l'armée a dit refuser toute concession, appelle à jumeler les deux solutions qui existent actuellement sur la scène, à savoir une issue constitutionnelle et une autre politique. Mais le président de Jil Jadid semble prêcher dans le désert. Plus enclin à accepter une élection présidentielle, chemin plus court et moins risqué pour la sortie de la crise, Ali Benflis a fini, lui aussi, par rejeter le rapport de la commission de dialogue. Il s'éloigne ainsi, petit à petit, de l'option du pouvoir qui veut aller "vers une élection présidentielle" dans "les plus brefs délais". "Je respecte chaque position", répond, quant à lui, l'ancien président de l'APN, visiblement désarmé. La conférence nationale sacrifiée Promise comme point d'orgue du dialogue, la conférence nationale de dialogue n'aura finalement pas lieu. Pour justifier ce recul, le coordinateur du panel a expliqué que ce sont ses interlocuteurs qui lui ont demandé de se contenter des rencontres avec les partis et personnalités. Une conférence de dialogue, qui devait entériner les conclusions de plusieurs semaines de discussions, est donc jugée de trop par les interlocuteurs du panel qui préfère donc remettre un "rapport" au chef de l'Etat. C'est pourtant cette conférence nationale qui devra entériner les textes qui vont régir la haute autorité de préparation des élections et les amendements à apporter au code électoral. C'est ce rendez-vous qui devait également déterminer le calendrier électoral. Dans l'intervalle de ce rendez-vous, l'équipe de Karim Younès a reçu une volée de bois vert. La plus marquante a été celle envoyée par le chef d'état-major de l'armée. Il s'agit d'abord de son refus d'entendre parler des préalables. Ensuite, Ahmed Gaïd Salah a annoncé un calendrier électoral sans même attendre les conclusions du dialogue qu'il dit pourtant soutenir. L'homme a également refusé l'idée de faire signer aux candidats à l'élection présidentielle une charte d'honneur dans laquelle ils s'engageront à accomplir un premier mandat de transition. Pire, il a même rejeté l'option de réformer profondément le code électoral. Il a estimé, dans un récent discours, que cela prendrait beaucoup de temps ! Dans les formes, le panel de dialogue a déjà préparé les propositions de textes qui devront servir de base juridique à la haute autorité de préparation des élections et de la réforme du code électoral. L'objectif de la création de la haute autorité de préparation et de surveillance des élections est "d'exclure complètement l'administration de toutes les étapes du processus électoral au regard de l'accointance entre son rôle et la fraude" et que cette autorité, composée de magistrats, d'avocats et de représentants de la société civile, "se charge des missions de préparation et de supervision de toutes les étapes des élections", a indiqué hier Bouzid Lazhari, membre du panel, devant des journalistes. Les autorités veulent "l'éloignement des ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères de tout le processus électoral", a-t-il ajouté. Une rapide lecture des textes proposés par le panel laisse déjà poser des questions de fond. C'est notamment le cas du choix des membres, notamment ceux qui devront venir de la "société civile". S'il est précisé que les magistrats, avocats et autres notaires vont être choisis par leurs pairs dans le cadre de leurs organisations professionnelles, le choix des représentants de la "société civile" fait craindre le retour des organisations de masse proches des partis politiques du pouvoir. Surtout que pour l'instant, les autres courants politiques et les représentants du mouvement populaire ont refusé de s'inscrire dans ce processus. Ali Boukhlef