Contrairement à mardi dernier, la police a adopté une attitude passive. Les manifestants ont dénoncé la répression des étudiants, qu'ils promettent de soutenir en masse mardi prochain. Ce 34e vendredi de la révolution citoyenne contre le régime commence en douceur. Les forces de la Sûreté nationale déploient, dès les premières heures de la matinée, leur dispositif sur les axes traditionnels de la marche. Les rues sont encore désertes. À midi, pas encore de forte mobilisation. Le spectre de la répression de la marche des étudiants, trois jours auparavant, plane. Mais à partir de 13h, la rue Didouche-Mourad se remplit progressivement de citoyens drapés dans l'emblème national. Ces derniers restent groupés, en retrait. Quelques dizaines de téméraires donnent, néanmoins, de la voix, en entonnant la chanson d'Oulahlou Pouvoir assassin, dont les paroles, écrites il y a dix-sept ans sur le Printemps noir, ont été réadaptées par les hirakistes qui en reprennent toutefois le refrain. Les policiers, sans arme à feu et sans matraque, les cantonnent sur les trottoirs en formant une barrière humaine sur environ 500 m, jusqu'à hauteur de la mosquée Errahma, à Meissonier. Ils se mettent en retrait dès la fin de la prière du vendredi. La manifestation démarre sur les chapeaux de roue. À quelques encablures du siège régional du RCD, la rue Boulhat-Salah, adjacente à la rue Didouche-Mourad, est interdite d'accès par les agents de l'ordre public. Des manifestants s'arrêtent face à eux. "Emmenez-nous tous en prison, nous n'arrêterons pas" ; "Cessez les arrestations, despotes" ; "Liberez les otages", allusion aux détenus d'opinion. Les policiers ne répliqueront pas. Tout au long de la marche, ils seront pourtant la cible des manifestants, en colère après la répression des étudiants mardi dernier. À 14h, les abords de la Grande-Poste, la rue Abdelkrim-Khettabi, la place Audin, la rue Didouche-Mourad sont remplis de manifestants. À cette heure-là, la rue Asselah-Hocine, qui longe l'arrière-façade du siège de l'APN, est encore calme. Des dizaines d'Algérois attendent, dispersés, l'arrivée des marcheurs de Bab El-Oued, de La Casbah et de la place des Martyrs. Devant Cavaignac, deux agents en civil arrachent une pancarte à un jeune homme et l'entraînent discrètement vers le commissariat. Il ne leur oppose aucune résistance. Son interpellation passe inaperçue. À 14h30, une procession de dizaines de milliers de manifestants progresse sur la rue Asselah-Hocine. Là aussi, les policiers sont copieusement sermonnés. De plus en plus nombreux, ils mettent le cap sur la rue Abdelkrim-Khettabi, en passant par l'avenue Khemisti, puis l'avenue Pasteur. Ils réussissent, grâce à leur nombre, à reconquérir la rue Gara-Djebilet, dont le passage est bloqué depuis des mois par des barrières de police. La rue Hassiba-Ben-Bouali s'anime au gré des affluences à partir de la place du 1er-Mai, de Belcourt et… d'El-Harrach. Marchant à pied de cette commune de la proche banlieue est d'Alger (environ 15 km), les Harrachis recréent l'effet de foule sur ce parcours, vers 15h. Durant la marche, dans les différentes rues et ruelles d'Alger-Centre et de Sidi-M'hamed, les Algérois ont exprimé clairement et catégoriquement leur rejet du scrutin présidentiel du 12 décembre prochain, sans s'appesantir outre mesure sur les candidats à la candidature. Ils ont réitéré la revendication inhérente au départ du chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, et du gouvernement, Bedoui. Ils ont exigé la libération des détenus d'opinion et politiques, dont les portraits ont été brandis. Ils ont, comme à l'accoutumée, affiché leur hostilité au chef d'état-major de l'armée, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah.