"Barakat des discours de casernes", "Wallah ma nvoti, hatta terrahlou"... Ce sont les slogans dominants de la marche citoyenne de vendredi à Alger. Malgré le blocage de ses entrées principales par des barrages de la Gendarmerie nationale, la capitale a renoué, hier, avec une mobilisation exceptionnelle. L'épisode 29 de la révolution populaire contre le régime, acté au premier vendredi du mois de septembre, a confirmé les pronostics. Dès 11h, les représentants de la presse nationale ont observé une affluence nettement plus importante que les semaines précédentes, à la même heure. À la sortie des mosquées, les deux épicentres de la manifestation, place de la Grande-Poste et place Audin, étaient complètement occupés par des milliers de manifestants. La foule compacte a débordé sur les hauteurs de la rue Didouche-Mourad et l'avenue Pasteur, incitant les policiers à céder des es-paces qu'ils avaient fermés, quelques heures auparavant. "El vote, wallah ma ndirou ; Bedoui et Bensalah lazem itirou, birsass alina habbitou tirou, wallah ma rana habsine" (nous ne voterons pas ; Bedoui et Bensalah doivent partir ; même si vous tirez sur nous à balles réelles, nous n'abdiquerons pas). Le chant, apparu la semaine dernière, est entonné avec force par les insurgés, lesquels ont rejeté catégoriquement l'élection présidentielle que le chef de l'institution militaire veut organiser avant la fin de l'année en cours. "Wallah ma nvoti, hatta tarahlou" (Nous ne voterons pas tant que vous ne partez pas) ont juré les Algérois tout au long de la journée. Pour la première fois dans les annales de la révolution du sourire, le peuple demande au général de corps d'armée de cesser de s'adresser à lui à partir des casernes. "Barakat, barakat min khitab takanat" (Les discours de caserne, ça suffit). Il faut dire que cette semaine, Ahmed Gaïd Salah a parlé à quatre reprises de la 4e Région militaire, où il a effectué une visite de travail, pour annoncer d'abord la date de la convocation du corps électoral pour la présidentielle, puis pour un plaidoyer en faveur du scrutin. Pour la première fois aussi, les portraits du général à la retraite Ali Ghediri (candidat à la présidentielle avortée du 18 avril), en détention préventive depuis des semaines pour atteinte au moral des troupes, ont été brandis par ses proches, exigeant sa libération. La procession de milliers de marcheurs, qui a démarré de Bab El-Oued et la place des Martyrs, a produit l'habituel effet de masse sur le parcours des boulevards Zighoud-Youcef - Asselah-Hocine. Venant de la place du 1er-Mai, une marée humaine a vite pris possession de la rue Hassiba-Ben Bouali, convergeant vers la Grande-Poste via l'avenue Colonel-Amirouche. Arrivés au niveau du Mauretania, inaccessible par le positionnement de fourgons de la Sûreté nationale et une barrière de policiers, les manifestants ont fustigé les sentinelles en bleu : "Surveillez le pétrole et la bande au lieu de garder un tunnel." À hauteur du siège du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, les citoyens ont martelé en chœur : "Le peuple veut l'indépendance" ; "Le peuple veut la destitution de Gaïd". À 17h, la marche s'est ébranlée dans la direction inverse, de la Grande-Poste vers le Sacré-Cœur, agrémentée par des slogans hostiles au régime et à ses symboles, au panel coordonné par Karim Younès et à la présidentielle qu'ils préparent contre vents et marées. Le mot d'ordre "Yatnahaw gaâ" a vibré, de nouveau, sous les klaxons des conducteurs de véhicules pris en étau par les piétons. À la rue Abdelkrim-Khettabi, devant le carré du comité de lutte contre la répression et pour la libération des détenus d'opinion, les manifestants se sont arrêtés et ont scandé : "Libérez les détenus, ils ont porté un drapeau et n'ont pas vendu de la cocaïne" ; "Libérez nos enfants". Ce vendredi de la rentrée sociale et politique a été marqué par une participation en nette augmentation, ainsi que par le retour des messages politiques inventifs, présentés sous forme de caricatures ou d'écrits. Quelques-uns sont particulièrement édifiants : "6 millions de faux parrainages (au 5e mandat, ndlr), 6 000 participations factices au panel" ; "En résumé, ils dégagent un à un. Nous, nous voulons que celui qui les enlève dégage".