"Rahou djay, rahou djay, el-issiane el-madani" (la désobéissance civile est en chemin). Cette forme de lutte contre le régime est évoquée, pour la première fois, dans les marches du vendredi. Comme d'habitude, la police a déployé ses forces sur l'itinéraire traditionnel des marches du vendredi dans la capitale. Comme d'habitude, le dispositif sécuritaire musclé n'a pas dissuadé les Algérois de sortir, par dizaines de milliers, dans la rue pour exiger le départ du régime. Dans la matinée, des regroupements sont empêchés à la place Maurice-Audin et à la place de la Grande-Poste. Plusieurs citoyens dont un militant du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse) sont embarqués dans des fourgons cellulaires de la sûreté nationale, selon des témoins oculaires. "C'est une manière de nous intimider. Je sors les vendredis et les mardis avec les étudiants. Je le ferai jusqu'à la chute de ce régime", affirme une femme d'un certain âge, rencontrée à la rue Abdelkrim-Khettabi, vers 13h. Cette détermination est perceptible chez des centaines de citoyens, qui entament la marche vers 12h30. En procession, ils remontent la rue Didouche-Mourad. Au niveau du siège du RCD, les forces anti-émeutes se placent en double rang sur la voie publique pour bloquer leur convergence vers le Sacré-Cœur. Des jeunes forment aussitôt une chaîne humaine tampon entre les policiers et des manifestants en furie qui scandent "Rahou djay, rahou djay, el-issiane el-madani" (la désobéissance civile est en chemin). C'est la première fois, depuis l'émergence de la révolution populaire le 22 février, que cette forme de lutte contre le système est évoquée lors de la démonstration de force hebdomadaire. Le slogan sera repris massivement par des dizaines de milliers de manifestants, toute l'après-midi. "Nous paralyserons toutes les villes de l'Algérie. Rien ne fonctionnera jusqu'à ce qu'ils partent tous", explique un quadragénaire. Les manifestants ne demandent plus aux représentants du régime de partir "Irhalou". Ils leur assurent désormais qu'ils partiront bon gré mal gré : "Tarhalou !" Infatigable, Benyoucef Mellouk, en première ligne du front, est entouré de jeunes qui découvrent son long combat contre les magistrats faussaires et les faux moudjahidine. "Il faut épurer la justice des magistrats véreux. Il faut assainir l'administration des fonctionnaires aux ordres", crie-t-il à tue-tête en brandissant des articles sur le scandale qu'il a révélé au milieu des années 90. "Vous êtes des enfants de ce peuple. Ne vous dressez pas contre lui. Ne protégez pas la bande", lance-t-il aux policiers. Ces derniers ont condamné les accès aux trottoirs de toute la rue Abdelkrim-Khettabi et les ruelles adjacentes et ont rétréci les rues Hassiba-Benbouali et Colonel-Amirouche. "Honte à vous", "Craignez Dieu au lieu de Ses créateurs", vilipendent les marcheurs à chaque fois que leur progression est entravée. Le président du RCD, Mohcine Belabbas, et l'homme de loi Me Mustapha Bouchachi ont ponctué la marche par la séquence de leur rencontre à la rue Didouche-Mourad. Au milieu d'une foule immense, ils ont repris ensemble les slogans phare de la marche. La mobilisation devient de plus en plus forte pour la libération des détenus d'opinion. "Libérez nos enfants" (manifestants arrêtés pour port de l'emblème amazigh) et "Incarcérez ceux d'El Gaïd", "Libérez Bouregâa", martèlent les manifestants. Le porte-parole du panel de médiation, Karim Younès, s'est attiré les foudres de ses compatriotes. Ils l'invitent à "dégager" en lui signifiant qu'ils n'y aura "pas de dialogue avec le gang et le pouvoir". Au chef d'état-major de l'anp, qui a la présidentielle en mire, les Algérois s'engagent "à ne pas voter sous ce régime" et maintiennent le cap sur la primauté du civil sur le militaire. Vers 15h30 à la rue Pasteur, une femme âgée agite bravement depuis son balcon la bannière amazighe. La foule l'acclame en tapant des mains et en criant : "Anwa wigui ? Di Imazighen !" Encore une fois, le peuple a montré sa maturité politique et sa volonté à aller jusqu'au bout de sa révolte. D'ailleurs, il a corrigé hier la terminologie concédée au mouvement : "Hadi thawra, machi hirak" (C'est une révolution, et non pas un hirak).