Liberté : Selon le cadrage macroéconomique et financier pour 2020-2022, le taux de change du dinar par rapport au dollar sera de 123 en 2020, de 128 en 2021 et de 133 en 2022. Cette dévaluation du dinar n'est-elle pas annonciatrice d'une forte tension inflationniste ? Yassine Benadda : Malgré la politique monétaire expansionniste poursuivie dans le cadre des mesures de financement non conventionnel et les dévaluations successifs du dinar, l'inflation est restée relativement stable en 2018 et probablement en 2019 (selon la Banque mondiale). Toutefois, les politiques monétaires depuis une décennie, basée sur une manipulation du taux de change dont l'objectif est de réduire artificiellement les déficits budgétaires et équilibrer la balance de paiement, risqueraient de conduire vers des fortes tensions inflationnistes à moyen terme. En effet, la dévaluation, une arme à double tranchant, en laissant filer la monnaie, la banque centrale risque de freiner une économie fortement ralentie. De plus, la dépréciation du dinar face aux devises étrangères engendrera une inflation importée. Par conséquent, le renchérissement des importations se répercutera dans tous les secteurs de l'économie et touchera autant des ménages que des entreprises locales déjà fragilisées par le ralentissement économique. Par ailleurs, si l'on ajoute à cela un risque de cession de paiement liée à la baisse drastique des réserves de change (à moins de 6 mois d'importation) à horizon 2022 ; la conjonction de ces facteurs négatifs aura mécaniquement des conséquences sur l'accélération de la dévaluation du dinar. Cela se traduira probablement vers la mise en œuvre des mécanismes conduisant vers un cercle vicieux tel qu'une forte tension inflationniste, voire même un risque limité d'hyperinflation. Une telle situation s'accompagnera alors d'un plongeon de la consommation et de l'investissement. Donc, d'une croissance négative et d'une hausse du chômage. Les déséquilibres macroéconomiques du pays rendent le scénario du Venezuela de plus en plus plausible en Algérie. Dans le cas où les tensions budgétaires venaient à s'aggraver, la réduction des subventions et les restrictions sur les importations ne portent-elles pas des risques en matière d'inflation ? Les conséquences sociales et économiques des programmes d'ajustement structurel brutaux sont extrêmement complexes à prévoir quant à leur interaction dans chacun des secteurs économiques. En théorie, une diminution des dépenses publiques peuvent avoir des effets généralement déflationnistes du fait de la limitation de l'offre de monnaie, de la baisse des dépenses gouvernementales et de la croissance des salaires ; avec les conséquences négatives qui s'ensuivent sur les revenus et le chômage. En Algérie, une baisse des subventions conduira à une augmentation automatique des prix et à une contraction de la demande intérieure des produits importés et locaux. Si celle-ci est combinée à une restriction drastique des importations, elle permettra de préserver les réserves de change sans pour autant favoriser la production nationale qui est dépendante majoritairement des achats internationaux. Dans ces conditions, la demande de produits ou de services s'accroîtra en phase pénurie, mais l'offre baissera en parallèle, les prix seront poussés là encore à la hausse, tous ces éléments conduiront naturellement vers une spirale inflationniste. Afin d'éviter cette situation, il est vitale pour le pays d'avoir des politiques de réorientation des dépenses publiques du secteur énergétique vers le secteur productif. Et la consommation vers l'investissement, les dépenses de protection sociale pour les plus fragiles et l'éducation. En effet, celle-ci favorisera par nature une expansion économique. Quelle marge de manœuvre dont disposera la Banque centrale pour faire face aux tensions inflationnistes et quelles seraient les opérations de désinflation susceptibles de faire baisser la fièvre ? La manipulation de la masse monétaire ne suffit pas à juguler l'inflation. D'autant plus que la maîtrise de l'inflation ne doit que peu affecter la croissance. Juguler l'inflation commence en partie par réduire sensiblement le déséquilibre causé par la balance commerciale. En effet, l'écart flagrant entre les taux d'importation et d'exportation a fortement provoqué un déséquilibre entre l'offre et la demande poussant les prix à la hausse, donc à l'inflation. Il faut donc mettre en œuvre une politique de l'offre qui stimulera la production locale dans les secteurs où les prix augmentent, et par conséquent limiter ainsi la hausse des prix. Autres éléments essentiels à la désinflation seraient constitués de dispositifs d'ancrage nominal, en arrêtant des objectifs monétaires qui ne peuvent être garantis par des réserves de change élevés. Ce qui conduirait à laisser les taux de change s'apprécier. En outre, l'assainissement budgétaire est l'un des facteurs-clés de succès qui a aidé les pays en transition à maîtriser l'inflation. Celui-ci doit s'accompagner de l'existence de marchés primaires, de bons du Trésor, ainsi qu'une diversification des sources de financement disponibles. Il en a résulté une baisse des crédits de la Banque centrale à l'Etat. Pour finir, dans un contexte de crise politique avec une instabilité accrue et une illégitimité institutionnelle, il sera impossible de pouvoir mener les réformes structurelles vitales pour le pays. Par ailleurs, la crise économique a été provoquée par le système actuel. La solution ne peut résider que par des changements profonds et l'arrivée au pouvoir d'un Etat civil légitime.