Lors d'une rencontre à la fondation Asselah Ahmed et Rabah, l'auteure Djouher Amhis Ouksel est revenue sur la célébration du centenaire de la naissance de Mammeri, qui se devait "être un effet d'annonce pour d'autres initiatives mémorielles". Talonnant l'"empreinte" du cercle de nos poètes disparus, Djouher Amhis Ouksel a rallumé l'âtre de l'histoire où pétille l'étincelle à l'effigie de Mouloud Mammeri (1917-1989), samedi dernier, à la fondation culturelle Asselah Ahmed et Rabah. Evoquer Mouloud Mammeri, c'est d'abord l'aider à revivre du haut de La Colline oubliée (1952) où il gît du Sommeil du juste (1955) et de bannir le péril de l'oubli qui guette l'écrivain, l'anthropologue et le linguiste, a indiqué l'oratrice. D'où qu'il nous faut évoquer l'itinéraire de l'auteur du Recueil des textes (1969) du poète kabyle et philosophe Si Mohand Ou Mhand (1840/1845-1905) afin de préserver sa mémoire de l'aliénation. "N'est-ce pas cette même aliénation dont il a fait son cheval de bataille pour préserver l'écorce de l'identité algérienne ? À ce propos, l'évocation du fondateur de la revue Awal (la parole) ne doit pas se limiter qu'à la seule célébration de son centenaire en 2017 et laisser ensuite l'oubli faire son œuvre à l'encontre de l'auteur de L'Opium et le bâton (1965) qui a souffert de son vivant de calomnies, notamment durant la guerre de libération", a martelé Mme Amhis. Et d'ajouter : "En ce sens, l'option du centenaire se devait d'être un effet d'annonce pour d'autres initiatives mémorielles à venir pour l'auteur de Vérités et paroles. Au demeurant, le souvenir de Mouloud Mammeri ne doit pas se focaliser uniquement sur l'itinéraire de cet érudit et cet éclaireur qui a défraîchi l'abrupt sentier de la mémoire, mais il est utile de s'intéresser aussi à ses engagements qu'il nous a légués dans ses écrits et durant la guerre de libération, où il a hissé la question algérienne sur le podium de l'ONU." À ce propos, Mouloud Mammeri avait souligné : "Si être engagé, cela veut dire qu'on est avec les hommes, tous les hommes, ainsi l'écrivain est avec son peuple, partageant ses souffrances, ses espoirs. Il ne peut rester indifférent." S'il en est une autre preuve, celle-ci est écrite dans Lettre à un Français qu'a lue pour l'auditoire la modératrice Kemkem Ghenima et que Mouloud Mammeri a adressée le 30 novembre 1956 à l'enfant de Béni Saf et d'Algérie Jean Sénac (1926-1973), alors que la guerre était à son apogée. Témoin de son temps, l'amusnaw dénonçait la tragédie algérienne et rejetait la violence de l'occupant colonial français, à l'instar de Frantz Fanon dit Ibrahim (1925-1961) et tant d'autres intellectuels. "Ici des hommes meurent – les hommes tarissent", écrivait-il. "C'est parce qu'il était grand par sa hauteur de vue et son humanisme dérangeant qu'ils ont tenté de l'affaiblir", a précisé l'auteure de Frantz Fanon, nous Algériens (éd. Casbah 2017). Autre moment d'émotion, l'instant où le poète et chanteur chaâbi a déclamé l'ode au disparu qu'il a écrite lors du centenaire de l'enfant de taddert de Taourirt Mimoun (Ath Yenni) et qu'il a intitulée Khaqagh (je suis inquiet). "Mouloud Mammeri n'a eu de cesse de reconquérir l'histoire, si tant de fois récupérée à dessein par les autres, d'où son intérêt pour l'outil de l'anthropologie qui a permis à l'auteur de Western et politique de décoloniser peu à peu la culture", a précisé Djouher Amhis, avant de conclure : "Si la Kabylie n'est pas protégée, il n'y aura pas d'Algérie, car la Kabylie c'est ce socle de l'Algérie où il y a l'empreinte de nos anciens."