"Le pays traverse à présent une phase difficile similaire à celle qui présageait la démission du président qui a totalement détruit le pays", a estimé le président du SNM. Les 600 conseillers de la Cour suprême et les 160 autres du Conseil d'Etat ont rejoint, hier, à leur manière, le mouvement de débrayage des magistrats, en organisant une manifestation à l'intérieur même de la plus haute instance judiciaire, sise à Ben Aknoun. Une première dans les annales de la justice algérienne. En effet, les magistrats des deux juridictions ont tenu hier vers midi, sur l'esplanade de la Cour suprême, un rassemblement de dénonciation et de solidarité avec leurs collègues de la cour d'Oran qui ont été, la veille, violentés par les forces antiémeutes de la Gendarmerie. La presse nationale a été autorisée à accéder à l'intérieur de l'enceinte. Les magistrats, qui ont entamé leur manifestation en entonnant en chœur l'hymne national Qassaman, ont, ensuite, scandé des slogans du hirak tels que "Adala horra democratia" ou encore "Djazaïr horra democratia". Les robes noires ont ainsi brandi des écriteaux plaidant leur cause. D'autres pancartes résument l'état d'esprit et la détermination des manifestants à "délivrer la justice" des griffes du pouvoir exécutif. "Nous sommes en grève pour l'indépendance de la justice", "La source de la justice est le peuple et la loi", lit-on. Ces premiers mots résonnent en fait comme un plaidoyer annonciateur du début du "hirak des magistrats". Les robes noires qui se sont succédé à la tribune n'ont pas pris de gants pour tirer à boulets rouges sur le garde des Sceaux Belkacem Zeghmati et dénoncer la situation du secteur qui a atteint, selon les grévistes, un point de non-retour. Le premier intervenant n'était autre que le juge Rouabhi Mohamed, président de chambre au Conseil d'Etat. Après avoir ôté sa robe noire, le magistrat n'a pas fait dans la dentelle pour crier la colère, voire l'indignation, des magistrats contre les incidents affligeants qui se sont produits à l'intérieur de la Cour d'Oran. "Ce qui s'est passé à Oran est scandaleux et ce, pour plusieurs raisons. Ces faits désolants constituent une violation flagrante des franchises d'une cour de justice. Ces faits sont réprimés par les lois de la République algérienne. Ces actes de violence commis à l'encontre des magistrats sont une première dans l'histoire de l'humanité. Il faut dire que ces actes ne se sont même pas produits en Corée du Nord et encore moins dans un autre pays. Ces faits ont terni l'image de l'Algérie. Nous sommes devenus la risée du monde. La solution consiste alors à punir celui qui a fait appel à la force publique pour tabasser les magistrats. Je dis aujourd'hui que le premier responsable de cette mascarade n'est autre que le procureur général de la cour d'Oran qui a mobilisé la force publique et ce, sur instruction de ses responsables. Tous ces responsables sont comptables devant la loi. Ils doivent rendre compte de ces faits." Le représentant du Conseil d'Etat ne manquera pas d'aborder les objectifs politiques assignés au mouvement de débrayage des magistrats : "Même si les revendications de la corporation sont légitimes et légales, il était temps que les magistrats lancent aujourd'hui leur grand combat. La bataille qu'on mène aujourd'hui consiste à délivrer la justice algérienne. Nous militons pour l'indépendance de la justice. Si la justice venait réellement à s'émanciper, tous les problèmes du pays seraient résolus." De son côté, Issad Mabrouk, président du Syndicat national des magistrats, est intervenu pour revenir sur le bras de fer opposant la corporation au ministre de tutelle. Pour l'invité d'honneur du rassemblement, ce conflit Syndicat-ministère de la Justice a pris une autre tournure après les regrettables incidents de la cour d'Oran. "L'action de protestation d'aujourd'hui signifie clairement que les conseillers du Conseil d'Etat sont solidaires avec les magistrats grévistes. Nous sommes vraiment affligés par ce qui s'est passé à Oran. Les décideurs du pays sont appelés aujourd'hui à prendre les mesures nécessaires contre ceux qui ont mobilisé des brigades antiémeutes contre les magistrats. Des sanctions doivent être prises contre ceux qui ont pris et exécuté la décision de tabasser nos confères à Oran", dénonce-t-il. Sur sa lancée, Issad Mabrouk n'hésitera pas à rappeler que "la justice algérienne n'a jamais été indépendante et ce, depuis 1962". Le président du syndicat a rappelé que le SNM exige le limogeage du ministre de tutelle pour espérer entamer un vrai dialogue. "Belkacem Zeghmati est en train d'accomplir la tâche d'un procureur général. Notre débrayage est légal vu que les conditions d'interdiction du mouvement de grève ne sont pas réunies", explique-t-il. C'est en fait un clin d'œil du président du SNM aux millions d'Algériens qui sortent chaque vendredi. "Nous sommes partie prenante du hirak. Nous avons déjà barré la route à Bouteflika pour un cinquième mandat."