Après un premier livre, édité il y a une année en France aux éditions Maia, retraçant la vie et le parcours révolutionnaire de Didouche Mourad, Abdelaziz Boucherit, ce natif de la wilaya de Jijel, met en lumière, dans ce second opus, la vie des paysans berbères de la Kabylie orientale. Dans cet entretien, il revient sur cet ouvrage avec plus de précisions. Liberté : Dans votre livre, vous évoquez les Berbères de la Kabylie orientale, leur mode de vie et la place de la femme dans cette société… Abdelaziz Boucherit : La Kabylie orientale, c'est encore un terme de division, utilisé sciemment par la colonie française pour morceler la Kabylie berbère antique et la désolidariser du peuple algérien berbère. Pour rappel, la région de la Kabylie s'étend sur les chaînes des montagnes adossées aux rivages de la Méditerranée, de la banlieue est d'Alger jusqu'aux abords de la ville de Skikda actuelle. Dans notre cas précis, la Kabylie orientale, c'est toute la région de Kabaïl-El-Hadara des tribus d'Ouled Aïdoune dont le terme fut attribué aux tribus de la région d'El-Milia actuelle, au début de l'occupation arabe. La vie des hommes et des femmes à l'époque du récit, j'en parle dans le livre. En évoquant la fête du printemps qui permit aux femmes de s'exprimer en toute liberté. Je parle aussi des carcans, qui emprisonnaient les femmes. Paradoxalement, les principes des entraves étaient forgés, encouragés, imposés et perpétués par la femme, elle-même. La femme berbère a été, depuis longtemps, la victime d'elle-même. Généralement, vous traitez de thèmes historiques dans vos livres, comme celui que vous avez consacré à Didouche Mourad, l'un des illustres symboles de la révolution de Novembre. À quoi ce changement est dû ? Didouche Mourad c'était l'homme, sans conteste, qui incarna l'altruisme et l'abnégation. Il sacrifia sa vie pour servir son peuple et son pays. Il fut l'un des premiers à jeter les bases d'une doctrine axée sur un nouveau concept : la laïcité musulmane. Un outil moderne, un socle puissant pour unifier le peuple algérien et le réconcilier avec sa grande et riche diversité. Ecrire sur Didouche Mourad, qui voulait débarrasser son pays des tabous, n'est pas incompatible, à mon sens, avec l'histoire de Zahia, à travers laquelle sont relatées, avec un esprit critique, les cultures, les traditions et enfin les tabous d'une époque qui résistent encore et déroutent de la pensée créative. A mon humble avis, je suis toujours dans la continuité des thèmes de combats. Qu'est-ce qui a inspiré l'écriture de ce livre, dans lequel vous parlez ouvertement d'ailleurs des tabous qui entourent les relations amoureuses au sein des tribus berbères ? Ecrire ce roman c'était écrire l'histoire orale d'une belle jeune fille, unique et pauvre de la région. Elle était victime du caractère pervers des caïds. Dans une société sans merci, elle donna libre court aux élans de son cœur. Nous l'avons suivie et accompagnée dans son triste parcours, jalonné par les vicissitudes d'une société dépravée et mutilée de ses repères. L'histoire fut, certes, édulcorée, par moments, par la créativité narrative. Mais elle conserve les relents d'une justice au service des hommes. La pauvreté sentimentale de l'amour est décrite, effectivement, par les faits dans le livre. L'hommage que vous rendez à la femme des tribus Ouled Aïdoune, dans votre livre, n'est-il pas le fait de votre appartenance à cette tribu d'El-Milia ? C'est incontestable, le fait d'être issu d'El-Milia contribue largement à situer avec précision les faits. Mais à travers Zahia, j'ai voulu rendre hommage à toutes les femmes d'Algérie et en particulier aux calvaires, d'ailleurs, illustrés par le titre du livre, endurés par les femmes berbères. C'est aussi rendre hommage à la femme algérienne qui a traversé cette époque dans la souffrance et la misère. En somme, la reconnaissance de la lutte acharnée de nos mères et nos grands-mères. Ce n'est pas facile, pour moi, de mettre à nu, avec une honnêteté intellectuelle sans reproches, pour servir l'histoire, les secrets intimes de mes familles tribales. Cette démarche est encore incomprise est identifiée ou assimilée comme une trahison. Dans une société qui continue de mettre la tête dans le sable en niant les fondements et la véracité de sa propre culture.