C'est devenu classique : pour peu qu'une voix s'élève de l'autre côté de la Méditerranée évoquant la situation en Algérie, et voilà qu'on crie à l'ingérence étrangère. Alors que le Parlement européen ne s'est pas encore réuni, des candidats à la présidentielle ont, à l'unisson, dénoncé samedi l'annonce de l'eurodéputé Raphael Glucksmann d'un débat, prévu vendredi prochain, suivi d'une résolution "d'urgence" sur la situation en Algérie. "Le peuple algérien est libre et n'acceptera aucune ingérence dans les affaires intérieures par des parties extérieures, y compris les tentatives de l'Union européenne", a dénoncé, depuis Khenchela, Abdelmadjid Tebboune. "La conjoncture actuelle exige la mobilisation et la solidarité de tous", a estimé, pour sa part, Ali Benflis avant d'appeler les Algériens à "faire preuve d'unité pour défendre le pays". C'est ainsi qu'il préconise le "renforcement du front interne sur la base de la confiance placée dans les institutions de l'Etat, l'unité entre le peuple et son armée et la préservation de l'Etat-nation". Quant à Abdelkader Bengrina, il a appelé, depuis Laghouat, les Algériens à "se dresser, comme un seul homme, face aux ennemis" de la patrie, et à "refuser que les affaires internes soient débattues au Parlement européen". "Nous ne pouvons retourner aux années 90, ni accepter un scénario similaire à la Libye et à la Syrie", récidive, à Relizane, celui qui croit que cette réaction intervient une fois acquise la perspective de son intronisation, avant de s'engager à "faire face à ceux qui veulent attenter à la sécurité de l'Algérie", mettant en garde contre d'"horribles plans" visant la déstabilisation du pays. Cette levée de boucliers, du reste prévisible, intervient alors que ces candidats peinent à convaincre les Algériens de se rendre aux urnes. Aussi entretiennent-ils, non sans populisme, la confusion entre l'ingérence et le droit de regard des autres et d'exprimer leur solidarité avec le peuple algérien. Pour avoir exprimé, fin septembre, un soutien au hirak, la vice-présidente de la commission des droits de l'Homme de l'UE avait également suscité un tollé. Peut-on crier objectivement à l'ingérence, lorsque le chef de l'Etat, lui-même, expose devant les caméras au chef du Kremlin Vladimir Poutine la situation interne du pays ? Peut-on valablement reprocher à des pays voisins, avec lesquels beaucoup d'intérêts sont en partage, de s'interroger sur l'évolution de la situation d'un pays dont les perspectives pourraient avoir des conséquences et déteindre sur eux ? Non seulement, cette diabolisation de "l'ingérence", encore faut-il en expliquer les mécanismes, renforce l'isolement du pays, mais elle participe aussi à empêcher tout regard sur la gestion d'un processus, marqué par des violations des libertés, décrié par la majorité de la population. C'est ce qui explique sans doute l'absence d'observateurs et la réduction drastique de la délivrance de visas aux médias internationaux. En surestimant cette menace d'ingérence, même si les velléités ne sont pas à exclure, les candidats ne cherchent, en définitive, qu'à faire diversion sur une campagne chaotique et à titiller l'ego d'un peuple dans l'espoir de le convaincre des bienfaits d'une participation au scrutin.