Smaïl Maâraf est professeur de sciences politiques à l'Université d'Alger. Il participe activement aux actions du mouvement populaire. Dans cet entretien, il donne sa vision de la situation née de l'élection présidentielle et livre ses projections sur l'avenir du hirak populaire. Liberté : Malgré une mobilisation populaire sans précédent, le pouvoir a pu tenir son élection. Quelle lecture en faites-vous ? Smaïl Maâraf : Ce qui s'est passé jeudi ne peut être qualifié d'élection. C'est une parodie qui entre dans le cadre de la poursuite du projet du pouvoir. Ce qui s'est passé ne répond pas aux critères scientifiques d'une élection comme dispositif politique et réglementaire. La réalité est que les tenants du pouvoir ont désigné Tebboune depuis longtemps et ont organisé le scénario pour faire passer la pilule. Les autres candidats ont accepté le jeu. La preuve, ils n'ont même pas cherché à contester les résultats ou à introduire des recours. Pourtant, le plan était toujours clair : le pouvoir ne veut aucun changement. Il a une feuille de route mise à exécution. Cette feuille de route n'était pas celle du pouvoir seulement. Elle a été faite en concertation avec les Américains, les Français, les Russes et les Emiratis. Elle a commencé au mois de septembre. Désormais, elle est devenue un fait accompli. Maintenant que nous sommes devant le fait accompli, que va-t-il se passer après, selon vous ? à mon avis, le chef de l'Etat va poursuivre la logique de l'institution militaire. Dans un premier temps, il va tenter de mener un dialogue. Pour cela, il va choisir ses interlocuteurs pour tenter de diviser le hirak. Certains vont certainement accepter le jeu. C'est un mécanisme concocté pour créer la zizanie au sein du hirak. Cela va se solder par un échec puisque les autorités ne trouveront pas d'interlocuteurs crédibles. Ou, s'ils en trouvent, les interlocuteurs du pouvoir vont être désavoués par le mouvement populaire. Le pouvoir va dire qu'il n'a pas d'interlocuteurs. Il va pousser au pourrissement, de sorte à créer les conditions d'une répression. Même dans le cas où le dialogue serait plus ou moins sérieux, il ne va jamais porter sur le changement de système. Le pouvoir acceptera de discuter sur des dossiers, cela va être par exemple autour de la Constitution. Une manière de gagner du temps pour tenter d'user le hirak. Le dialogue politique sera accompagné par des mesures sociales, comme d'éventuelles augmentations des salaires des fonctionnaires et l'inondation des marchés par toutes sortes de produits. Le pouvoir permettra aussi une ouverture du champ médiatique, en attendant que la tempête passe. Il n'a pas vraiment trop de choix. Pour les tenants du pouvoir, le hirak est un véritable bourbier duquel il faudra sortir à tout prix. Pour cela, ils n'hésiteront pas à employer la manière forte si ces manœuvres ne fonctionnent pas. Après ce scrutin, comment appréhendez-vous l'avenir du hirak ? Pour atteindre ses objectifs qui visent à changer le système, le hirak doit se poursuivre. Mais j'avoue que j'ai des craintes. Il s'agit surtout de voir le pouvoir en place créer des divisions au sein du mouvement populaire. La seule issue est que si le hirak se poursuit avec intensité, il peut contraindre le pouvoir à reculer et à organiser très probablement des élections anticipées. La poursuite de la mobilisation est absolument déterminante pour l'avenir du hirak.