Ni le poids des ans ni l'incertitude de l'aventure n'ont dissuadé l'homme qui a pris sur lui de tenter le sauvetage du bateau Algérie qui prenait eau de toutes parts. Il est des dates que ni l'histoire ni l'amnésie des hommes ne peuvent extirper de la mémoire collective. Et le 16 janvier en est certainement une. Celle qui a marqué le retour, émouvant et prometteur, de Si Tayeb El-Watani. Il y a onze ans, le 16 janvier 1992, Mohamed Boudiaf était revenu, presque de force, de son exil marocain pour tenter un sauvetage du bateau Algérie qui prenait eau de toutes parts. Il a dû, sans doute, se poser la même question que celle qu'il avait formulée au lendemain de l'Indépendance : “Où va l'Algérie ?” Et dans son infinie générosité et son sens du devoir national, le vieux briscard de la Révolution croyait, peut-être naïvement, qu'il pouvait répondre à cette question, à sa question, en détournant le fleuve dans lequel le FIS triomphant voulait alors embarquer la république. Dans le bon sens, bien sûr. Ni le poids des ans ni l'incertitude de la mission ne l'avaient dissuadé de tenter “l'aventure” de l'Algérie qui n'était plus celle qu'il avait connue. Un seul sentiment animait alors Mohamed Boudiaf : sauver son pays qui lui lançait un appel de détresse… Sa réponse fut aussi instantanée que celle qu'il avait donnée au colonialisme français avec ses compagnons d'armes un certain 1er novembre 1954. Il tendit sa main creuse et frêle à ces millions d'Algériens pour leur épargner un torrent de sang et de larmes qui menaçait les fondements de la République. La mission était délicate. Mais, les hommes, les vrais, ne plient jamais. quoi qu'il advienne ! Son retour fut un moment incommensurable de liesse populaire. L'homme ne laissait pas indifférent. Il ne traînait aucune casserole de ce régime qu'il avait lui-même dénoncé. Le 16 janvier 1992, reste une date phare de l'histoire de l'Algérie indépendante. Et pour cause, le retour du vieux prodige rendit la joie de vivre aux algériens et l'immense espoir de lendemains meilleurs, après tant de désillusions, de frustrations et même de trahisons. En six mois seulement, Si Tayeb El-Watani réussit là où tous ses prédécesseurs à la tête de ce pays avaient lamentablement échoué : fédérer les forces vives de la nation autour d'un mot d'ordre simple mais ô combien profond : “L'Algérie avant tout !”. Ce fut un véritable hymne à la vie et à l'amour de la patrie. Ce fut aussi une belle idée, un vrai projet de société qui dépasse de très loin les pseudo-programmes politiques concoctés dans les arcanes du régime d'alors et même d'aujourd'hui. Une telle promesse ne pouvait évidemment que susciter un engouement populaire dans un pays où les citoyens étaient sevrés de ce droit de participer au développement de leur pays. La symbiose fut totale. Mais, comme une malédiction, il était dit quelque part que ce mariage entre le président et son peuple devait être brisé. Une rafale dans la tête et le rêve devint cauchemar... C'était le 29 juin 1992. L'Algérie venait de prendre le chemin à contresens. La facture payée est trop salée. Onze années plus tard, l'âme de cet homme hante encore les esprits de ses concitoyens. Faut-il alors réinventer Boudiaf ? H. M.