La libération de tant de détenus du hirak en un seul jour procède à l'évidence d'une décision politique. à la surprise générale, y compris des collectifs d'avocats et des familles, 76 détenus du hirak ont été relâchés, jeudi. Parmi ces derniers, le moudjahid Lakhdar Bouregâa et le général à la retraite Hocine Benhadid, tous les deux âgés et malades. La libération d'autant de détenus en un seul jour procède à l'évidence d'une décision politique. Une centaine d'autre détenus, dont des figures du hirak, sont encore en détention. Jeudi aura donc été une journée bien particulière. En ce début d'après-midi, tout le monde à Alger attendait l'annonce officielle de la composition du nouveau gouvernement. Mais c'est une autre actualité qui captivera leur attention. Le général Hocine Benhadid, que des sites d'informations annonçaient comme souffrant la veille, et le moudjahid Lakhdar Bouregâa sont libérés. L'information fait vite le tour de la Toile. Tous semblent être surpris, y compris les avocats qui ont dû apprendre la nouvelle en même temps que tout le monde. "Nous ne savions pas du tout ce qu'il se passait", témoigne l'avocat Abdelghani Badi. Remis en liberté provisoire et convoqué à comparaître le 12 janvier prochain, le vieux moudjahid n'a rien perdu de sa verve et de son sens de la réplique. À un journaliste qui lui demandait s'il était content de rejoindre sa famille, Bouregâa répond, avec son tact habituel, qu'il était plutôt fier de rejoindre sa "grande famille qui va de Tlemcen à Tébessa et de Tizi Ouzou à Tamanrasset". Fait icône par le hirak, ce dernier le lui rend de la plus belle des manières : il a promis d'accomplir "une petite omra" à la Grande-Poste d'Alger et de "poursuivre la révolution des jeunes". "Une seule exigence : la poursuite de la mobilisation pacifique", a recommandé le vieux maquisard qui, finalement, n'a pas pu se rendre hier à la manifestation de vendredi pour des raisons de santé. À l'information sur la libération de Bouregâa et de Benhadid succèdent les plus folles rumeurs sur d'autres libérations de détenus. Certaines étaient fausses, d'autres fondées. Durant toute l'après-midi, des contingents de détenus d'opinion quittent les prisons du pays. Certains sont en attente d'un procès dont la date est repoussée, d'autres sortent sans date de procès. D'autres encore étaient même en train de purger leur peine lorsqu'ils ont appris qu'ils seront libres. Les médias se précipitent vers les centres pénitentiaires. Ainsi, la prison d'El-Harrach est prise d'assaut. Les journalistes et photographes qui s'y sont massés ont pu ainsi observer des jeunes sortir de la prison, en formant le "V" de la victoire. Le poète du hirak, Mohamed Tadjadit, fait partie du lot. À peine sorti du pénitencier d'El-Harrach, où il devait croupir durant 18 mois, il déclame des vers en l'honneur du mouvement populaire. Il a promis de poursuivre le "combat jusqu'au bout". "Ce sont eux (les gens du pouvoir) qui ont perdu", a-t-il dit aux journalistes qui lui demandaient son sentiment après sa condamnation récente. "Je vais continuer à manifester", a-t-il promis. "Qu'ils arrêtent, qu'ils condamnent, nous allons arracher la liberté", a-t-il ajouté avec une ferveur inégalée, avant d'être porté sur les épaules de dizaines de manifestants venus accueillir les détenus devant la prison d'El-Harrach. Surprise chez les avocats Parmi les militants politiques et associatifs arrêtés lors des manifestations populaires, l'ancien secrétaire général de l'association RAJ, Hakim Addad, a été libéré. "Nous n'avons jamais quitté le hirak. Nous marchions chaque vendredi et mardi dans la cour de la prison", a-t-il déclaré au site du journal Liberté. L'homme appellera à la "libération de tous les autres détenus politiques". Mais pour lui, le hirak "doit se poursuivre". Bizarrement, même les avocats des détenus n'étaient pas informés. Contacté, Abdelghani Badi, qui défend Lakhdar Bouregâa et d'autres détenus, a été surpris. "Une consœur m'a informé dans l'après-midi que Bouregâa avait été conduit au tribunal de Bir-Mourad-Raïs. J'accours. En arrivant, sa fille me dit qu'il était déjà libéré. Je ne sais même pas comment ils ont procédé", a témoigné l'avocat, contacté par téléphone. Il vivra la même expérience avec un autre détenu. "C'est le juge qui m'envoie un SMS pour me dire que mon mandant était libre !" "C'est clair que c'est une décision politique", a-t-il tranché. Pour l'avocat, "la mise en détention s'est faite avec une décision politique et leur libération l'a été autant !". Pour lui, c'est "une preuve que la justice n'est pas indépendante". "Pour rectifier le tir, les détenus ont droit à une double excuse ; de la part des politiques qui les ont fait arrêter et des juges qui les ont condamnés", a-t-il indiqué. "La justice a été une nouvelle fois malmenée", a ajouté Zoubida Assoul, avocate de Bouregâa et de Karim Tabbou. En tout, 76 détenus ont quitté les prisons du pays dans plusieurs wilayas. Outre Alger où une cinquantaine de prisonniers ont quitté leurs cellules, des militants de Tlemcen, d'Oran, de Constantine, de Bordj Bou-Arréridj et de Constantine sont désormais libres. Beaucoup d'entre eux ont rejoint, hier, les manifestations qui se sont déroulées aux quatre coins du pays. La libération des détenus d'opinion fait partie des principales revendications du mouvement populaire et de la classe politique.