Les invités de la fondation Asselah sont revenus, lors d'une rencontre organisée samedi à Alger, sur l'œuvre et le parcours de Mouloud Feraoun. La fondation culturelle Asselah-Ahmed et Rabah a inauguré samedi son cycle de rencontres littéraires au titre de l'an XX avec le faire-part aux enfants de "Fouroulou", en l'occurrence Faïza et Ali Feraoun de la fondation qu'ils ont créée pour pérenniser l'œuvre de leur père Mouloud Feraoun (1916-1962) sous l'étendard de la culture et de l'éducation. L'une comme l'autre ont feuilleté pour l'auditoire l'œuvre majeure Le Fils du pauvre. "Entamée en 1938 et finie en 1948, l'œuvre a été publiée à compte d'auteur en 1950 et a été auréolée du prix littéraire de la ville d'Alger", a déclaré Ali Feraoun. Modulée dans la confession mémorielle, l'œuvre décrit l'enfance de "Fouroulou" qui, si elle était douce autour de l'âtre des siens, en revanche l'existence de l'auteur de La Terre et le Sang n'avait rien de doucereux au village de Tizi Hibel, où il avait vu le jour en 1916 : "Il faut avoir en pensée l'image de son lieu natal déshérité de tout bien-être en ce temps-là, où il allait pieds nus à l'école." À ce sujet, l'idéologie de l'époque coloniale est subtile, d'où la censure de 70 pages qu'a opérée l'écrivain français Emmanuel Roblès (1914-1995) sur le manuscrit Le Fils du pauvre (éd. Le Seuil). L'objectif est d'étayer son argument mensonger que Mouloud Feraoun ne "faisait que décrire la folklorité d'une Kabylie, alors que la vérité était tout autre, du fait que le récit de mon père est une plaidoirie contre l'occupant colonial français et s'apparente ainsi à un appel à l'insurrection", a déclaré Ali Feraoun. Prédestiné à être berger, à l'instar de ses camarades de jeux, le déclic de l'instruction s'était opéré pour "Fouroulou" à la suite de la gifle qu'il a reçue de son père pour avoir taillé l'indécent djouaq (flûte) qui était l'égal d'impudicité, a ajouté l'orateur. Eclos du milieu d'indigènes qui le prédisposait à vivre dans la pauvreté, l'enfant du pauvre a eu l'inouïe chance de croiser sur son itinéraire le directeur d'école Amhis, qui n'était autre que le beau-père de l'écrivaine Amhis Ouksel Djouher. Et c'est ainsi qu'il s'est élevé à la mention d'un élève studieux qui l'éleva ensuite jusqu'à l'ultime échelle de l'instituteur, ce beau métier du monde, disait le défunt. C'était aussi l'exploit qui prouvait aux autres qu'il est possible de ne pas se lier longtemps au bâton de berger. Certes qu'il narrait l'existence à la fois si belle auprès des siens mais qui était aussi dure que la dureté de l'infâme régime ségrégationniste qu'il exhumait sous chaque pierre qui jalonne l'existence du arch Takharoubt d'Aït Chaâbane et de l'Algérie profonde que l'occupant a écrouée dans l'immonde statut d'indigène. Néanmoins, la pauvreté n'a pas eu d'impact sur le respect dû à l'aîné ni sur la protection due également à la veuve, à l'orphelin et au faible, car "tadjmaât" ou l'assemblée des sages veillait à l'ordre établi. Ce à quoi il y avait ce quelque chose de bon à extraire dans la pauvreté, notamment la solidarité et le partage de la joie d'un heureux événement ou la peine dans l'épreuve. L'écriture de Feraoun est complexe et n'est pas aussi simple qu'on le prétend. À ce sujet, il y eut l'analyse réalisée par l'universitaire américaine qui s'est spécialisée dans les traductions et commentaires des écrivains maghrébins d'expression française. Mieux, elle a fait du titre Le Fils du pauvre son sujet de thèse de doctorat en littérature comparée à la City University of New York. Outre cela, University of Virginia Press a publié la version anglaise du roman Le Fils du pauvre sous le titre The poor man's son : Menrad, Kabyle schoolteacher. À ces œuvres s'ajoute aussi l'étude d'une Japonaise qui a utilisé récemment les méthodes de l'écriture qui ont abouti à la complexité de l'écriture de Feraoun. À ce propos, "Mouloud Feraoun ne traduit pas les mots, tel le kanoun qu'il laissait à l'étranger le soin de traduire afin qu'il se sente étranger à la terre qu'il a spoliée à l'indigène", a déclaré la sociologue Faïza Feraoun de l'université d'Alger. C'est dire qu'il y a tant à dire sur l'homme qui a été assassiné par l'OAS le 15 mars 1962, à quatre jours du cessez-le-feu du 19 mars 1962, au lieudit Château-Royal à Ben Aknoun, où il exerçait en qualité d'inspecteur des centres sociaux ouvert à l'initiative de Germaine Tillion avec cinq de ses collègues. À noter que la rencontre a été modérée par le professeur Asselah Hocine, avec l'apport des vers du poète Belharat Slimane.