"Le hirak doit mieux s'organiser, mais la pression doit se poursuivre. Il faut explorer de nouveaux styles de lutte. Cette 2e année nous impose de nouveaux questionnements", estime le sociologue Nacer Djabi. "Si le pouvoir ne comprend pas que les Algériens ont changé, que le mur de la peur a été brisé, on se dirige vers un scénario catastrophe. Il sera exposé à une société ingouvernable." À la veille de la célébration de l'anniversaire du hirak, mouvement inédit, dont l'irruption en février a surpris le monde, et face à un pouvoir qui campe sur "son" improbable "feuille de route" de sortie de crise, le sociologue Nacer Djabi, observateur avisé des convulsions de la société, met en garde contre la poursuite de ce qui apparaît comme une fuite en avant des tenants du pouvoir. "Le pouvoir vit en isolement, il ne pourra pas mobiliser pour les élections, ni pour les réformes qu'il envisage. La solution est qu'il accepte de dialoguer avec le hirak", soutient-il lors d'une conférence consacrée au bilan et aux perspectives du hirak, animée au siège de l'association RAJ à Alger. Pis encore, faute de dialogue et de réponses appropriées à la hauteur des aspirations exprimées par les Algériens, Nacer Djabi prédit que la société, dont les revendications sont claires, "s'exprimera de diverses manières" et le pouvoir sera amené à faire des "concessions" sous la pression étrangère. Mais le pouvoir est-il disposé à dialoguer ? "On est devant un système qui n'a aucune ambition. C'est le pouvoir qui refuse le dialogue car les revendications du hirak sont claires. Le changement de façade n'est pas la solution. Et la difficulté pour le changement réside dans le fait que le centre de décision ne se trouve pas chez le pouvoir formel", observe-t-il encore. "En s'attaquant à l'association RAJ, en opérant des arrestations parmi les activistes, on a vite compris que le pouvoir n'a pas l'intention de dialoguer. Il a peur que le mouvement s'organise, car il ne veut pas de solution", reprend, de son côté, l'autre conférencier, Saïd Salhi, vice-président de la Laddh. Après une année de mobilisation du mouvement, dont la détermination ne semble pas s'essouffler, tous sont unanimes à relever que de nombreux acquis, du reste inquantifiables, ont été enregistrés, même si en "termes politiques, on n'a pas réalisé beaucoup de choses, si l'on excepte la mise en échec du cinquième mandat et l'incarcération des figures de la corruption", observe M. Djabi. Parmi les acquis : la réconciliation des Algériens avec eux-mêmes, avec les repères historiques, le fait qu'ils aient déjoué les tentatives de division, une très grande auto-organisation du mouvement, le dépassement de beaucoup de handicaps, l'adoption du pacifisme, la réhabilitation de l'image de soi et le respect de la femme, entre autres. "C'est un mouvement révolutionnaire. On a gagné une génération, une très grande politisation des jeunes", souligne le sociologue. "C'est une société qui a changé ; il y a l'émergence d'une nouvelle élite. Et le peuple a libéré la rue. Le choix pacifique a permis d'immuniser le pays et de désarmer le pouvoir", note, de son côté, Saïd Salhi, vice-président de la Laddh. Confiants dans la "maturité et la capacité" du peuple à imposer le changement, les deux conférenciers estiment que le mouvement est appelé à passer à une autre étape. "Le hirak doit mieux s'organiser, mais la pression doit se poursuivre. Il faut explorer de nouveaux styles de lutte. Cette 2e année nous impose de nouveaux questionnements", estime M. Djabi. "La deuxième année doit être celle des conquêtes des espaces publics et des libertés démocratiques, préalables à tout. Nul ne peut structurer le hirak car il y a eu échec des représentations traditionnelles. Le hirak est en train de tout reconstruire. Chacun a le droit de prendre des initiatives, la jeunesse doit prendre sa place. On n'a pas le droit de juger des intentions. Discutons. Notre rôle est de donner un prolongement à l'action politique de la société civile et des partis qui sont en phase avec le mouvement. Ce qui manque, ce sont les connexions et les convergences dans le mouvement", soutient, avec lucidité, Saïd Salhi.