Samira attrape le sac de toile contenant des marionnettes et descend rapidement du bus. Un pli soucieux barrait son front. Elle se sentait prête à exploser. Le temps correspondait à son humeur, il faisait chaud et très lourd. Le grand nuage était annonciateur d'orages. La jeune femme soupire puis prend le temps de respirer lentement, plusieurs fois, afin de retrouver son calme. Les battements de son cœur finissent par ralentir. La matinée a été très dure. Beaucoup de choses se sont passées et ont mis ses nerfs à rude épreuve. A l'hôpital, les malades n'avaient pas eu tous les médicaments dont ils avaient besoin. Il ne se passait pas une semaine sans qu'on s'en prenne à elle. Si ce n'étaient pas les malades, c'étaient leurs familles. Ce matin, les parents d'un jeune malade avaient osé s'en prendre à elle. Ils l'avaient insultée. Le père avait levé la main, prêt à la frapper. Sans l'intervention d'un collègue qui s'était interposé entre eux, il l'aurait giflée. C'est vrai qu'elle est responsable de la distribution des médicaments, mais ce n'est pas de sa faute si la pharmacie n'est pas approvisionnée selon les besoins. Samira s'est plainte à l'infirmière chef Farida, qui lui avait répondu d'une voix sèche : - On n'y peut rien s'il y a pénurie à l'échelle nationale. - Les malades ne le comprennent pas. Ils refusent d'écouter. J'ai été agressée. Je ne veux pas me mettre en danger. - Si tu ne supportes pas, tu n'as qu'à changer de métier ! - Mais j'adore ce que je fais. Je voudrais continuer à l'exercer sans subir de violence. Je ne veux plus risquer ma vie. Arrête de te plaindre ! Dans la carrière d'un médecin ou d'une infirmière, cela arrivera plus d'une fois que les familles s'en prennent à eux, insiste l'infirmière-chef. Allez, retourne travailler ou prends quelques jours de congé. Le temps que tu te remettes de tes émotions. Samira avait compris que sa supérieure n'allait pas l'aider. Elle n'insista pas. En fait, depuis le début, elle savait qu'elle ne pourrait pas compter sur elle. Des malades avaient porté atteinte à sa personne. Que pouvait-elle faire contre eux et l'infirmière-chef ? Celle-ci attendait avec impatience le jour où elle la prendrait en faute, pour rédiger un rapport. Pourquoi ? Elle en connaît bien la raison. Tout cela à cause d'un médecin qui l'ignorait complètement. Le bel homme appréciait Samira et cherchait souvent sa compagnie. Cela mettait sa supérieure en rage. La jeune femme aurait volontiers quitté son emploi actuel si elle avait la chance d'en trouver un autre facilement. La peur de se retrouver au chômage était plus forte que l'atteinte à sa personne par des malades insatisfaits et la jalousie de l'infirmière-chef. Samira ralentit devant la porte vitrée et salue l'agent d'accueil d'un geste de la main. Ce dernier incline de la tête devant tant de beauté réunie en une seule personne. Ses longs cheveux blonds encadraient son visage ovale et les mèches de son front cachaient ses yeux de couleur miel où se reflétaient des lueurs troubles. Rares étaient ceux qui pouvaient lire dans son regard. Elle tente toujours de garder son calme. Un simple coup d'œil ne suffit pas pour tout savoir d'elle. La jeune femme sourit rarement. Quant à rire… En fait, les seuls qui réussissent à la faire sourire et rire sont les enfants. En leur compagnie, elle devient une autre. Elle est une femme mystérieuse, difficile à comprendre. Car elle portait une blessure indélébile…
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