Telle que la situation se présente aujourd'hui, l'on est tenté d'attester que les conditions pour répondre aux dispositions du nouveau cahier des charges ne sont pas encore réunies. Le nouveau cahier des charges relatif à l'industrie automobile en Algérie, qui devrait être prêt avant la fin avril, exigera de l'investisseur un taux d'intégration initial de 30% ainsi qu'un apport initial en capital égal ou supérieur à 30% de l'investissement. En imposant de telles exigences, le gouvernement a-t-il établi au préalable un état des lieux sérieux de ce secteur dans notre pays ? Telle que la situation dans le domaine de l'automobile se présente aujourd'hui, l'on est tenté d'attester que les conditions pour répondre aux dispositions du nouveau cahier des charges ne sont pas encore réunies. "D'abord de quels investisseurs parle-t-on ? Et de quelles usines ? En dehors de Renault et Peugeot qui n'a toujours pas démarré sa production, les autres usines sont gérées par des administrateurs judiciaires. Ces sous-traitants vont fabriquer pour qui ? Nous avons aujourd'hui des usines quasiment à l'arrêt. Avant de se poser la question sur notre capacité à assurer un tel taux d'intégration, il faudrait d'abord qu'on sache quel constructeur décide de continuer à fabriquer localement et quel serait le volume de véhicules produits localement par chacun d'entre eux", déclare sans ambages, Mme Latifa Turki Liot, présidente de l'Union nationale professionnelle de l'industrie automobile et mécanique (Upiam), contactée à ce propos. Lorsqu'on ciblait 400 000 véhicules, ajoute Mme Turki Liot, on pouvait espérer mobiliser un tissu de sous-traitants autour des constructeurs, mais sans volume fixé à l'avance, ça ne serait pas évident… "La seule option possible est l'export. En d'autres termes le sous-traitant qui fabrique pour un constructeur définit avec celui-ci une démarche à l'export afin que sa production alimente d'autres usines que celle en Algérie. Mais avant que le sous-traitant exporte, encore faut-il qu'il puisse intégrer le panel du constructeur", suggère l'experte en industrie et contract management. La concrétisation d'un tel objectif d'intégration dépend, selon elle, de l'option stratégique que l'on choisit pour notre pays. "Que cette stratégie soit construite autour d'un ou plusieurs constructeurs. Les clés de la réussite sont dans la capacité qu'a le pays à conduire une réelle politique de développement industrielle pluriannuelle et c'est en déployant cette vision en concertation avec les parties prenantes qu'on pourra atteindre des objectifs de localisation et d'intégration élevés", avoue-t-elle en citant l'exemple de la Turquie où il est recensé près de 4 000 équipementiers et sous-traitants employant 400 000 personnes qui ont permis au secteur de l'automobile de se construire autour de non pas 1 ou de 2 mais de 15 constructeurs… Interrogé sur la contribution du tissu de sous-traitance pour répondre à de telles exigences, Mme Turki Liot estime qu'il ne répond toujours pas aux exigences normatives du secteur tout en reconnaissant son existence. "Le gouvernement cite souvent les sous-traitants comme étant la pierre angulaire de ses politiques sectorielles, mais dans les faits, ces opérateurs sont livrés à eux-mêmes", constate la présidente de l'Upiam. Il aurait été plus opportun, propose-t-elle, d'orienter les fonds qu'on sollicite aujourd'hui aux constructeurs "sous la forme d'une augmentation de capital social dans leur joint-venture vers l'accompagnement et la mise à niveau des sous-traitants jusqu'à ce qu'ils soient homologués par les constructeurs". Il faut absolument aider les sous-traitants algériens à monter en puissance, dégager des fonds et faire en sorte que les constructeurs accompagnent ceux parmi les sous-traitants locaux qui ont la volonté d'intégrer cette industrie exigeante. Les PME ont besoin de mise à niveau Pour M. Kamel Agsous, président de la Bourse algérienne de sous-traitance et de partenariat (BASTP), "aujourd'hui, la tendance qui se dessine (sans aucune certitude) pour aller plus vite, est de fixer les taux d'intégration plus élevés dès le démarrage de la production du véhicule. Ceci est souhaitable à la condition de revoir complètement l'approche du partenariat à construire entre l'investisseur national et le partenaire étranger et de faire jouer à fond le pouvoir de négociation au profit de la partie algérienne". M. Agsous affirme que les paramètres devant servir de base aux calculs du taux d'intégration ne sauraient être arrêtés unilatéralement par l'une ou l'autre des parties et devront donc être intégrés dans la négociation globale pour la construction d'une usine automobile. Au vu des conditions citées, indique-t-il, "il nous semble a priori difficile de fixer d'emblée un taux d'intégration qui n'en tienne pas compte et encore moins lorsque ce taux ne respecte pas un cycle de montée en cadence de l'usine nécessaire pour l'apprentissage et la maîtrise des processus de production par un transfert progressif de savoir-faire". Pour qu'un investisseur local atteigne ce taux d'intégration, il doit être un professionnel dans le domaine qu'il doit investir a fortiori. Pour attirer le partenaire étranger, relève le président de la BASTP, il faut créer un marché en mesure d'absorber les énormes coûts fixes d'une industrie très capitalistique. La troisième condition, souligne-t-il, est liée à la "création d'un tissu industriel de sous-traitance à même de répondre aux exigences technologiques et économiques d'une industrie mondialisée (production aux standards universels) et partant très concurrentielle". M. Agsous évoque aussi l'impérative mise en place d'un écosystème industriel soutenu par l'Etat, qui permettra une optimisation des chaînes de valeurs au niveau de ce secteur qui, seule, permet une production compétitive tant sur le marché national qu'international. Le tissu de sous-traitance algérien, constitué de PME activant dans divers métiers (mécanique, électronique, plasturgie…) aptes à produire des pièces de qualité pour les grands donneurs d'ordre de l'industrie manufacturière, existe bel et bien dans notre pays et peut répondre à toutes ces exigences, note Kamel Agsous. "S'agissant d'un secteur nouveau comme celui de l'automobile, il y aura, cependant, trois actions à mener immédiatement pour répondre aux exigences de ce secteur en termes de normes, qualité, coûts et délais pour les pièces et composants devant être fournis par le tissu de sous-traitance local", nuance-t-il. Il s'agit, précise-t-il, de la mise à niveau des PME de sous-traitance existantes et de l'encouragement sous différentes formes (avantages fiscaux et parafiscaux…) des investisseurs potentiels dans ce secteur. Il faut que ces entreprises soient accompagnées par les constructeurs pour leur homologation technique et managériale. Le partenariat de ces PME locales avec les équipementiers, fournisseurs des constructeurs automobiles, doit être également encouragé pour permettre les transferts de technologie, des savoir-faire aux sociétés algériennes contractantes et leur ouvrir ainsi les marchés extérieurs sur lesquels ces équipementiers sont déjà présents. Cette dernière condition réglerait par ailleurs, explique M. Agsous, le problème des volumes des productions nécessaires pour la rentabilité des investissements.