Les officines ne vendent plus les masques de protection. Les hôpitaux en manquent. Le ministre délégué à l'Industrie pharmaceutique évoque une disponibilité prochaine de 100 millions d'unités. Les citoyens peinent à trouver des masques de protection. Le produit n'est plus vendu en pharmacie, depuis plus de dix jours. "On nous a saisi toutes les quantités dont nous disposions. Pour nous protéger, nous nous procurons quelques bavettes auprès des connaissances", témoigne un pharmacien, localisé à Zéralda. Le constat est pareil partout ailleurs dans la capitale. Dans certains quartiers, une pancarte, alertant sur la non-disponibilité des bavettes, est collée sur la vitrine. "C'est pour éviter que des gens entrent dans le local pour nous demander un produit que nous n'avons pas", nous explique-t-on. "Eu égard à la situation sanitaire, on aurait dû s'abstenir de réprimer les pharmaciens d'officine pour un problème de facture", s'insurge Messaoud Belambri, président du Snapo (Syndicat national des pharmaciens d'officine). Les brigades de contrôle des prix et de la concurrence ont intensifié les inspections des pharmacies en raison de l'envolée des tarifs des dispositifs médicaux dès l'apparition des premiers cas confirmés au coronavirus (de 15 à plus de 300 dinars l'unité). M. Belambri affirme que cette opération, entreprise à un moment inopportun de son point de vue, a induit l'effet inverse puisqu'elle a favorisé la vente libre du produit sur le marché informel. "Les pharmaciens peuvent s'approvisionner auprès des grossistes. Ils ne le font pas car ils ont peur d'être sanctionnés à tort", poursuit-il. 11 000 pharmaciens et quelque 60 000 vendeurs et préparateurs en pharmacie ont besoin, pour leur usage personnel, de 200 000 pièces par jour. M. Belambri indique que la tutelle a promis au corps une dotation payante. "Nous attendons toujours que cet engagement soit concrétisé. Nous comprenons que la pression est mondiale", admet-il. Dr Lotfi Benbahmed, ministre délégué chargé de l'Industrie pharmaceutique, a regretté, dans une intervention publique le 30 mars dernier, un usage abusif des bavettes de protection, dès lors que la meilleure protection contre le Covid-19 reste le confinement et la distanciation sociale. Son approche est partagée par des professionnels de la santé. "En milieu non exposé, le masque n'a pas une grande utilité, à part son impact psychologique", certifie Pr Farid Haddoum, chef du service néphrologie au CHU Mustapha-Pacha. "Les masques sont recommandés en milieu hospitalier. Il est difficile, toutefois, de dire à une personne qui a peur de ne pas se protéger. Il est d'ailleurs possible de se confectionner soi-même une barrière contre le virus avec un morceau de tissu", corrobore Pr Karima Achour, chef du service chirurgie thoracique au CHU Lamine-Debaghine à Bab El-Oued (anciennement hôpital Maillot). Il existe des masques antiprojection ou chirurgicaux à large usage et des masques de protection respiratoire individuelle (de type FFP2), réservés aux médecins et aux paramédicaux au premier front de la prise en charge des patients contaminés au coronavirus. "Ce sont ces masques de haut niveau qui manquent. Nous disposons approximativement d'une unité pour 200 bavettes chirurgicales", soutient Pr Haddoum. Sans détailler les types, le ministre délégué à l'Industrie pharmaceutique a attesté de la disponibilité de huit millions de masques au niveau des hôpitaux. Il a évoqué l'importation de cinq millions de pièces, en sus des 50 000 unités fabriquées quotidiennement in situ. Confection de masques dans des ateliers artisanaux En coordination avec le département de la Santé, le ministère de la Formation professionnelle a réquisitionné, dans plusieurs wilayas, les centres de formation spécialisés dans l'habillement, en raison de l'adaptabilité de leurs équipements de couture. Il les a reconvertis en petites manufactures de confection de masques de protection. À Alger, l'activité est installée au centre de formation de Birkhadem. Dans une vaste salle de cours, une quinzaine de formatrices bénévoles passent, les unes après les autres, des carrés de non-tissés sous l'aiguille de leur machine à coudre. D'autres s'attellent, en amont, à tailler dans les rouleaux de matière première, en aval à stériliser le produit fini et à l'empaqueter. "Nous avons réalisé combien de pièces aujourd'hui ?" demande une quinquagénaire à sa voisine. "Nous atteindrons les 1 400 à la fin de la journée", répond-elle, satisfaite. Depuis l'entame de l'opération, 25 000 bavettes chirurgicales ont été confectionnées dans ce centre. Selon Sofiane Tissera, directeur de communication au ministère de tutelle, le process est calqué dans plusieurs wilayas. Il assure que la matière première, fournie par des distributeurs agréés, est conforme aux standards de la Communauté européenne. La conception (les dimensions, le nombre de plis et la stérilisation) est dictée par les normes de l'OMS. "Les produits sont validés par la DSP dans chaque wilaya, puis remis aux collectivités locales, chargées de les distribuer aux hôpitaux et aux corps de sécurité", informe-t-il. Face au risque endémique au coronavirus, des citoyens ont spontanément pris l'initiative de produire des masques et des combinaisons de protection dans des ateliers artisanaux. C'est le cas d'un groupe de jeunes, dont des médecins et des pharmaciens, aux Issers, dans la wilaya de Boumerdès. "Nous avons démarré l'activité dimanche dernier. Nous parvenons à produire jusqu'à 3 000 bavettes chirurgicales par jour. Nous procédons à la stérilisation aux urgences de l'hôpital de Bordj-Ménaïel. Un producteur pharmaceutique nous donne la matière première", rapporte Tarek Hamouche, un bénévole. Les quantités produites sont distribuées aux structures sanitaires et aux administrations locales de la région. La demande nationale, notamment des hôpitaux, est néanmoins tellement importante qu'il est difficile de couvrir les besoins. "Le personnel soignant est doté d'articles de protection, mais pas en quantités suffisantes. Il nous arrive de garder un masque et une camisole pendant toute la journée", témoigne Pr Haddoum. Les médecins, en contact direct avec les malades testés positifs au Covid-19, n'ont de cesse de lancer des cris de détresse ou de colère, car ils ne sont pas convenablement cuirassés contre les risques de contamination. Le coup de gueule de Dr Salim Benkhedda le jour de la visite du Premier ministre Abdelaziz Djerrad et des membres de son gouvernement à l'hôpital de Blida a retenti sur les réseaux sociaux : "Tout le gouvernement en camisoles. Quel gâchis… Et nous, au CHU, en train de supplier et de mendier pour des bavettes." La pénurie ne touche pas vraiment, paradoxalement, le gel hydroalcoolique. Plusieurs groupes pharmaceutiques ont consacré des lignes de production à ce désinfectant des mains. Saïdal investit, pour la première fois, dans ce segment. Le premier lot produit avoisine 20 000 flacons d'un litre. Les prétentions de la firme jordanienne de droit algérien El-Kendi sont aussi grandes. "La demande actuelle est inhabituelle. Néanmoins nous avons une idée des besoins en prenant en compte la taille de la population", estime Sabri Kechroud, Strategic Planning & Communication Senior Section Head. Sur cette base, l'opérateur pharmaceutique a développé, selon notre interlocuteur, "la formule du produit et adapté les lignes de production pour fabriquer ce gel qui, pour rappel, contient de l'alcool en forte concentration, et cela requiert des mesures de sécurité draconiennes pour protéger nos employés et nos installations industrielles". 8 000 flacons de 120 ml sont fabriqués quotidiennement, avec option de doubler la quantité dès l'obtention de l'autorisation des autorités pour la mise en service d'un deuxième shift. "Nous fabriquerons également 10 000 flacons de 500 ml et 5 000 flacons par mois (voir plus si la demande l'exige) pour les professionnels de la santé et les institutions", complète-t-il. Les capacités de l'usine permettent d'atteindre le seuil des 120 000 litres en deux tranches durant un mois. "Nous sommes prêts à répondre à toute demande supplémentaire à condition que la disponibilité de l'alcool soit assurée sur le marché algérien", soutient M. Kechroud. Le ministre délégué à l'Industrie pharmaceutique a signalé un déficit en cette matière première, assurant que "le problème est pris en charge".