Le Dr Kamel Daoudi, chirurgien à Tizi Ouzou, pense que pour faire face au Covid-19, un plan Orsec s'impose. Il détaille dans cet entretien sa proposition et appelle les autorités publiques à hâter la mise sur pied d'une stratégie pour freiner la propagation du virus. Dr Daoudi considère que les structures hospitalières publiques ou privées doivent travailler de concert pour une meilleure maîtrise de la situation. Liberté : Depuis l'apparition du Covid-19, un confinement partiel a été décidé. Est-il, selon vous, suffisant pour freiner la propagation du virus ? Dr Kamel Daoudi : Le confinement est une mesure obligatoire qui exige des formulations ainsi que des mesures d'accompagnement afin de ne pas faire augmenter le degré de stress chez le citoyen qui pourrait engendrer des désagréments à l'ordre public. Le confinement doit être général. L'Etat se doit d'assurer un approvisionnement en denrées alimentaires. Même en milieu familial, il faudra créer un divertissement par des émissions télévisées très étudiées. Pour le confinement nocturne, je pense que l'interdiction de tout rassemblement et le respect de la distanciation sociale doivent être de mise.Il faut également interdire tout déplacement par voiture, exception faite aux camions d'approvisionnement en produits alimentaires et de première nécessité. Il faut aussi revoir la vente dans les commerces. Car cette activité doit obéir à des mesures très strictes et rigoureuses. Pour parer à toute menace de propagation rapide du virus, il faut penser une stratégie à la hauteur de cette même menace. C'est devant toute situation de catastrophe naturelle qu'un plan Orsec est déclenché, et dont la composition est la mise en place d'une cellule de crise composée, outre de l'administration et des corps de sécurité, d'un panel d'experts en la matière. C'est-à-dire penser les voies et moyens pour faire face à la crise. Pour cela, une feuille de route conçue et mise en application par qui de droit de manière pyramidale est très attendue. Vous avez évoqué, récemment, avec d'autres médecins, un plan Orsec "efficient et efficace" afin de faire face à la propagation du Covid-19. Comment sera conçu ce plan Orsec ? Effectivement, le plan Orsec, comme je l'ai évoqué et cité au début, sera tout d'abord pyramidal et à gestion consensuelle et collégiale, réparti sur deux principaux volets. Le premier est spécifiquement médical. Il s'agirait de prendre une unité basique, la commune, composée de villages ou de quartiers et dont la densité de population est proportionnelle au nombre de structures de santé existantes, publiques en général et libérales (privées, ce qualificatif est pour moi incompatible avec la profession). À ce niveau de confinement et des mesures hygiéniques basiques expliquées et instaurées, une permanence médicale en H24 doit aussi suivre avec un planning prénatal, établi par la corporation sans distinction de statut public ou libéral. Il y va d'une situation sanitaire à risque vital gravissime. Il faut penser aussi aux moyens de protection et de soins mis à la disposition ; c'est ce qu'on appelle dans le jargon médical : obligation de moyens pour aboutir à des résultats sans obligation. La sensibilisation préventive et la prévention doivent être le fer de lance du praticien pour gagner la confiance du citoyen, afin également de parer à cette agression naturelle de l'environnement par ce virus et se prémunir contre ce dernier. La mise en application des moyens basiques d'hygiène personnelle connus et appliqués par l'ensemble de la population mondiale, ajouter à ceux-ci la vigilance des praticiens dans la démarche diagnostique pour mettre en évidence une atteinte par le Covid-19 et ne pas aussi omettre d'examiner correctement le patient pour ne pas tomber dans l'erreur. La célérité dans le diagnostic clinique confirmé par l'examen de dépistage (PCR) qui est pratiqué par un prélèvement nasal ou pharyngé à l'aide d'un écouvillon stérile. Donc, deux cas de figure se présenteront devant le praticien. Dans le cas où la symptomatologie clinique serait évidente, avec confirmation biologique, le patient est hospitalisé dans un service spécifique et les symptômes traités en fonction du degré de gravité. Et dans le cas où le patient serait séropositif (porteur sain), la mise en quarantaine du patient s'impose, et une enquête épidémiologique familiale et sur les proches qui sont de potentiels vecteurs de contamination est également de mise. Parmi les objectifs de ce plan Orsec, la rupture de la chaîne de transmission par le fait d'avoir délocalisé leur synthèse et production ainsi que le respirateur artificiel et celui du monitorage hémodynamique. Vous avez précisé que ce plan Orsec comprend six phases. Pouvez-vous les détailler ? L'objectif principal est de rompre la chaîne de contamination et de créer un centre d'isolement pour les patients infectés non symptomatiques. Ce sera des lieux de repli, comme les cités universitaires et les services d'hospitalisation, allant de la cure de la thérapeutique adoptée par l'ensemble des sociétés savantes et des pouvoirs publics pour les cas non compliqués sur le plan clinique et des centres de soins intensifs. Je précise bien des centres, non pas des salles de réanimation et de soins intensifs usuelles de 8 à 12 lits, voire 20 lits. Et c'est là que se poserait le problème de l'infrastructure d'accueil, du personnel adéquat et du matériel spécifique de traitement par assistance respiratoire et produits anesthésiques adéquats, à savoir curares sédatifs, qui sont en voie de rupture dans certaines sociétés occidentales. Le manque de moyens dans les structures hospitalières publiques est un fait. Comment peut-on faire face à cette pandémie avec un système de santé, le moins que l'on puisse dire, malade ? La pandémie due au Covid-19 était à son début considérée comme une épidémie passagère non virulente et méconnue ou peu connue par les virologues surtout. Puis les épidémiologistes et infectiologues, suite aux complications néfastes et vu l'allure de son essaimage, ont tiré la sonnette d'alarme. Donc, pour parer à cette affection, les structures de santé publique n'étaient pas assez armées, comme celles mêmes des grandes puissances, pour y faire face, sur le plan tant des infrastructures d'accueil qu'en logistique et en personnel médical et paramédical suffisant. Et c'est cela le facteur causal de la crise en matière de moyens de protection et de prévention, voire en produits anesthésiques ou en certains produits sédatifs et curares et bien sûr en appareils de respiration artificielle, dont le manque s'est graduellement manifesté. Le système de santé publique actuel, malgré toutes les compétences existantes en personnel médical et paramédical très performant, reste encore loin de satisfaire le citoyen. Car la politique adoptée depuis des décennies avec des campagnes de réajustement, que l'on dénomme Réformes hospitalières surtout depuis vingt ans, n'ont donné que des résultats que j'appellerai des fruits à moitié mûrs. Cela s'explique par le retard dans la planification des projections structurantes par anticipation. Hélas, c'était du replâtrage, car on constate qu'on a pris la décision d'ajouter une dalle de sol sur un carrelage qui date des années 60 et même avant sans avis technique au préalable, ou bien d'effectuer le faïençage à tout bout de champ des structures hospitalières, alors que la priorité était plus dans la programmation d'édification de centres de soins de proximité et d'hôpitaux de petite capacité pouvant regrouper une densité proportionnelle en adéquation. Ajoutons à cela la formation paramédicale et médicale spécialistes et la post-graduation qui demeurent la chasse gardée, et cela, en inadéquation avec la démographie galopante où les besoins dépassent l'offre en soins. On ne pourra pas s'étaler sur ce sujet, car les lacunes sont innombrables, comme cette dichotomie public-libéral. L'on dénombre quotidiennement des dizaines de victimes et des centaines de nouveaux cas. A-t-on atteint le pic ou pas encore ? La célérité dans l'application des mesures préventives basiques sera le moyen idoine pour rompre la chaîne de transmission, dont le lieu vital du virus qui est l'humain (sphère oro-pharyngée et les poumons sont le gîte de choix) et le vecteur est également lui. Donc ces mesures de confinement et d'hygiène demeureront l'arme fatale pour éradiquer ce virus jusqu'à la mise en évidence de son vaccin. Pour le confinement, des mesures plus coercitives s'imposent par l'isolement des zones à ce jour non contaminées et celles qui le sont moins, et pour les régions à contamination modérée, le confinement associé à l'interdiction d'accès, comme je l'avais cité avant le pic, est à prévoir dans la première quinzaine de ce mois. C'est pour cette raison que le confinement vient d'être prorogé de 15 jours et qui sera encore prolongé si la situation l'impose. Donc, à cette allure, la contamination par le Covid-19 se poursuit.