Même si les mesures de prévention sont, globalement, respectées, les habitants d'Alger acceptent difficilement leur nouveau mode de vie imposé par la crise sanitaire. Plus encore, les jeunes vivent mal le prolongement du confinement. Notre journaliste a sillonné la capitale confinée à l'heure du couvre-feu. Il est 14h. Les Algérois se précipitent pour rentrer chez eux. Routes et ruelles se vident graduellement. Les automobilistes appuient sur le champignon pour ne pas tomber dans les barrages filtrants de la police dressés à chaque coin de la capitale pour faire respecter un couvre-feu imposé jusqu'au 19 avril prochain par la crise sanitaire de 15h à 7h du matin. Réquisitionnées pour la circonstance, les 13 sûretés de daïra que compte le Grand-Alger sont sur le qui-vive et adaptent leur emploi du temps, leur agenda de travail et les effectifs qui devront veiller au grain pour parer à la propagation du coronavirus. Il est 15h. Le couvre-feu entre en vigueur. Les habitants commencent à s'habituer en ajustant leurs horaires. D'autres, autorisés à circuler, car réquisitionnés pour assurer la continuité du service public, sont, tout de même, sujet à contrôle. Eux aussi se précipitent, non pas pour arriver à l'heure, mais pour trouver une place de stationnement dans la cité. Les retardataires, eux, tentent tant bien que mal de rejoindre leurs domiciles à la faveur de la fluidité de la circulation. Les commerçants baissent rideau les uns après les autres pour évacuer les clients qui sillonnent encore les étals pour faire leurs emplettes. Des vrombissements à souhait des moteurs, on passe à un silence cathédral. Comme si les moteurs du million et demi de voitures que compte la capitale sont éteints au même moment. Alger-Centre, ville morte On a la nette impression de passer d'un "circuit de course" à un parking à ciel ouvert où toutes les écuries de voitures abandonnent la compétition. Il faut dire que la nouvelle forme de confinement qui touche Alger, à l'instar de 9 autres wilayas, a créé un effet de foule qui pourrait compromettre la stratégie de lutte contre le coronavirus en milieu urbain. Il fait encore jour et le confinement "ramasse", d'un revers de la main, les âmes d'El-Bahdja, appelées à rester chez elles pour éviter de démultiplier les cas de Covid-19. Il est 16h. Les habitants d'Alger-Centre sont déjà chez eux depuis 14h. On a l'impression de vivre un moment apocalyptique du fait de la peur du coronavirus qui règne sur les esprits et tétanise les populations. Les policiers sont partout. Dans les ronds-points, sur les voies express, sur les dédoublements, les évitements et les ruelles de Didouche-Mourad, Larbi-Ben M'Hidi, boulevard colonel Amirouche ou encore à la rue Abane-Ramdane. Les contrôles sont rigoureux. L'attitude des policiers est sans appel par rapport aux récalcitrants et les retardataires qui, depuis trois jours, connaissent bien les risques qu'ils encourent. Il est 15h25. Alger-Centre est ville morte. On se dirige vers le quartier mythique et populaire de Bab El-Oued. Sur la grande avenue, réputée pour être un point noir des embouteillages à l'heure de pointe, on ne comptabilise que les policiers qui guettent ceux qui bravent le confinement. Mais aux Quatre Horloges et aux ruelles attenantes aux CHU de cette localité, des jeunes jouent au chat et à la souris avec les policiers qui ne cessent d'appeler avec un mégaphone la population à respecter les consignes sanitaires. "Le confinement est respecté à plus de 90%. Mais les jeunes le vivent mal, notamment ceux qui vivent dans des appartements exigus", nous explique un officier de police, affirmant que "les personnels médical et paramédical ou ceux qui livrent les médicaments sont autorisés à circuler. Parfois, on autorise les évacuations d'urgence, mais on synchronise avec la salle de trafic pour laisser passer le malade". Au point de contrôle attenant au stade Ferhani, un camion de police désinfecte les lieux. "Depuis le début du confinement, la sûreté de la wilaya d'Alger a effectué 160 opérations de désinfection. On profite de ce confinement pour aider les autres services à parer à la propagation du Covid-19". Place aux urgences, haro sur les réfractaires Direction la pêcherie où la police verrouille les issues. Un jeune motocycliste est contrôlé " positif". Pour cause, non seulement il a fait fi aux mesures sanitaires, mais son contrat d'assurance est arrivé à expiration. "Il fera l'objet d'un procès-verbal, de la saisie de ses documents et de poursuites judiciaires. Sa moto sera mise en fourrière pour une durée de 30 jours", nous explique le chef de barrage. Au niveau des Sablettes et du pont blanc attenant à la cité AADL des Bananiers, un policier avoue que le confinement est respecté par rapport au premier jour où les automobilistes étaient pris de court. "Le seul problème, ce sont les citoyens qui travaillent à Boumerdes et qui arrivent en retard. Mais, ça commence à rentrer dans l'ordre, car notre objectif n'est pas de verbaliser pour verbaliser, mais de gagner la bataille contre le coronavirus". Pour l'anecdote, un véhicule immatriculé à Blida est arrêté. Le conducteur, fonctionnaire à Netcom et autorisé à circuler, travaille à Bordj El-Kifan et habite à El-Biar. "On m'arrête même pendant la journée croyant que j'ai fui le confinement", ironise-t-il, ajoutant que personne ne s'approchait de lui dès qu'on voit l'immatriculation. Il est 17h. Le soleil continue de caresser la capitale, avec cette impression de grand vide que donne la vitrine du pays. Prochain point, la porte de l'Est d'Alger où la situation est plutôt difficile. Ici, les cités AADL, LPP, LSP et autres formules d'habitation pullulent avec leurs lots de chagrin lié au confinement et à l'oisiveté des jeunes et des moins jeunes "forcés" par la pandémie à cesser toute activité pour rester chez eux en attendant des jours meilleurs. Le dispositif de la police est impressionnant, à tel point qu'on imaginait qu'une chose devait arriver d'un moment à l'autre. C'est le cas à Bab-Ezzouar où le couvre-feu est respecté. Sauf à l'intérieur des cités où des groupes de jeunes occupent encore l'entrée des immeubles et jouent au chat et à la souris avec les patrouilles de la police.
Vivre à 10 dans un 40 m2 ! Idem à El-Harrach, aux quartiers de La Glacière ou encore à Djenane Mabrouk. Abdelghani, 19 ans, accepte de témoigner. Assis au seuil de l'immeuble, il avoue que le confinement est la seule solution pour finir avec le mal qui guette le pays. Issu d'une famille démunie, il habite avec ses parents, ses frères et sœurs, chez son oncle. "Nous sommes deux familles de 10 personnes à l'intérieur de la maison. Non seulement je ne travaille pas, mais j'éprouve des difficultés à rester allongé en face de la télévision durant 16 heures de temps. Cela ne veut pas dire que je ne fais pas attention à ma famille", témoigne-t-il. Le jeune Abdelghani n'est pas le seul à vivre cette situation. Dans les quartiers populaires et les nouvelles cités, les jeunes "débordent" d'imagination pour ne pas se faire attraper. à Bachdjarrah, les jeunes peinent à supporter le confinement. "On doit respecter la loi, on le sait. Mais, venez chez nous pour voir dans quelles conditions on vit. Quand vous êtes à six ou sept personnes dans un logement de 40 mètres carrés, vous comprendrez mieux", nous dit Rabah qui estime que cette mesure sanitaire s'impose. Dans les autres quartiers de Kouba ou encore les lotissements Appreval, le couvre-feu est plutôt observé mieux qu'ailleurs. Il est 18h. Direction l'Ouest d'Alger où le confinement est également respecté, à l'exception des nouvelles cités où les citoyens se promènent comme si de rien n'était, à l'instar des cités des Grands-Vents de Cheraga, attenantes à l'autoroute reliant Zeralda à Ben Aknoun. Dernière escale, Draria. Là aussi, la police a verrouillé la cité. "Les citoyens respectent la mesure. D'ailleurs, nous n'avons pas de soucis avec les automobilistes. Reste que les jeunes des cités AADL continuent à se regrouper devant les immeubles. Mais, dès qu'une patrouille de police arrive, ils disparaissent du décor", explique un officier de police. Cet état de fait, on le vérifiera à 20h quand des jeunes se regroupent au stade attenant à l'école primaire de la cité AADL de Sebala. "J'ai l'impression que les parents ne se soucient guère de leur progéniture. Je n'accepterai jamais que mon fils sorte à l'heure du confinement. Si les médecins, les infirmiers, les pompiers et les policiers sont dehors, c'est pour qu'on reste chez soi. Si on ne les aide pas, le coronavirus finira par nous enterrer tous", déplore un retraité qui appelle les parents à s'impliquer.