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"Attention particulière pour les élèves des classes d'examen"
pr Tabti, chef de service de pédopsychiatrie à l'UHS de Chéraga
Publié dans Liberté le 06 - 05 - 2020

L'impact psychologique du confinement prolongé et de l'arrêt des cours sur les enfants risque d'être lourd à supporter pour la famille et, par-delà, par la société en général. Pr Tabti, praticien spécialiste en pédopsychiatrie, affirme que le confinement forcé fait perdre aux enfants les repères d'une vie normale, exacerbant leur irritabilité et les bagarres entre frères et sœurs. C'est particulièrement difficile pour les élèves en classe d'examen, qui ne se projettent plus vraiment dans la réussite. Pr Tabti avertit par la même occasion sur les pathologies pédopsychiatriques plus complexes, telles que les dépressions, les troubles anxieux ou les psychoses qui peuvent se déclencher chez des enfants déjà prédisposés, ou s'aggraver chez ceux qui en sont déjà atteints avant le confinement.
Liberté : Les enfants sont confinés à la maison depuis 45 jours à une période scolaire. Quel est l'impact de cette situation sur leur état psychologique et émotionnel ?
Pr Tabti : L'impact psychologique et émotionnel du confinement sur les enfants peut varier d'un enfant à l'autre en fonction de plusieurs facteurs qu'on peut diviser en deux groupes. Des facteurs personnels comme l'âge de l'enfant et le degré de sa force psychique, et environnementaux tels que les capacités et les moyens que possède la famille pour bien gérer la détresse des enfants.
Il y a moins d'effets négatifs chez les enfants de bas âge et qui n'ont pas de problème de santé physique ou psychique, ainsi que dans les familles qui ont de l'espace dans leurs maisons et des moyens de récréation et une bonne cohésion familiale en particulier parentale.
La difficulté psychologique la plus fréquemment décrite en période de confinement chez les enfants est un grand sentiment de frustration de ne pas pouvoir sortir et jouer librement comme d'habitude. La frustration rend ces enfants vulnérables à l'anxiété, au stress et à la colère.
Comment peut-on détecter ces maux ?
Ces états vont se manifester à travers des troubles du comportement tels que l'augmentation de l'instabilité, des bagarres avec la fratrie, une opposition à l'égard des parents. L'ennui peut les conduire à des comportements déviants pour se faire plaisir, tels que le grignotage, un abus d'utilisation des écrans, des consoles de jeu et d'internet avec une tendance à veiller à des heures tardives de la nuit et faire la grasse matinée, provoquant une sorte d'inversion du rythme nycthéméral.
Les inquiétudes, ou l'angoisse, face aux risques de contamination par le Covid-19 pour eux ou pour leurs proches ne sont pas toujours exprimées explicitement par le langage verbal. Elles peuvent se manifester à travers des symptômes psychiques comme une régression sphinctérienne avec réapparition d'une énurésie, une irritabilité, des pleurs faciles, des difficultés de concentration, la perte des plaisirs…
Enfin des pathologies pédopsychiatriques plus complexes telles que les dépressions, les troubles anxieux ou les psychoses qui peuvent se déclencher chez des enfants déjà prédisposés ou s'aggraver chez ceux qui en étaient déjà atteints avant le confinement.
Il est pratiquement acquis qu'il n'y aura pas de reprise de l'école avant le mois de septembre. Les enfants seront-ils en mesure de retourner en classe sans conséquences, après presque six mois d'interruption des cours ?
On ne sait pas trop comment les choses vont évoluer. Si on a un déconfinement cet été et une reprise de l'école en septembre, les éventuelles conséquences d'une longue absence des bancs de classes pourraient être noyées par les vacances et la reprise sera presque habituelle, car les élèves et parents auront assez de temps pour "digérer" les effets du post confinement, rattraper les éventuels retards et se préparer à la prochaine rentrée comme d'habitude.
À la rentrée en septembre, il peut y avoir un stress habituel devant les retrouvailles, un peu de timidité à retrouver ses copains ou ses enseignants qu'on n'a pas vus depuis longtemps, une peur d'avoir tout oublié et de ne pas être à la hauteur du niveau attendu par les enseignants ou les parents. Mais il faut penser aussi aux élèves des classes d'examen, en particulier le baccalauréat, qui auront un vécu psychologique très spécial et qui vont nécessiter plus d'accompagnement et de soutien.
Ces élèves peuvent avoir un stress accentué par rapport aux retards dans les programmes, à la perte du rythme des apprentissages due à la lacune créée par le confinement, à la perte de l'élan et de la volonté initiale d'aller droit vers le succès. Des mesures étatiques sur les programmes et l'organisation de ces examens, ainsi qu'un accompagnement de la part des parents, voire des psychologues, sont des procédures nécessaires pour limiter au maximum les effets négatifs d'une telle situation.
L'addiction aux consoles de jeux et aux écrans est exacerbée pendant cette période sans aucune possibilité d'activités de plein air. Quelles en seront les conséquences ?
Les écrans posaient un véritable problème chez les enfants et adolescents avant le confinement. Les difficultés se sont accentuées en cette période de quarantaine. Les enfants, sujets à l'ennui, demandent plus, et les parents, dépassés par les multiples aspects à gérer, ont plus tendance à céder. Cela en plus de l'enseignement que les enfants sont appelés à suivre sur la télévision ou sur internet.
Les conséquences physiques, psychiques et sur le développement seront aussi multipliées avec l'augmentation du temps d'utilisation. Plusieurs effets ont été décrits, à savoir une fatigabilité des yeux qui peut entraîner des céphalées, des problèmes de concentration avec une baisse des capacités d'apprentissage, des perturbations dans la quantité et la qualité du sommeil, une sédentarité avec un risque d'obésité.
Cela en plus du temps passé sur ces écrans qui va empiéter sur celui des autres activités comme les interactions sociales avec les parents et la fratrie, l'apprentissage scolaire, l'hygiène corporelle et l'activité sportive. On a aussi incriminé le contenu des programmes, en particulier les thèmes sexuels et de violence, ainsi que les jeux qui peuvent conduire, en particulier les adolescents, à des comportements suicidaires, ou effrayer les enfants.
Quelles recommandations faites-vous pour limiter les dégâts ?
Il est important pour les parents d'installer un climat de communication permanente avec leurs enfants. Ecouter d'abord l'expression de ce qu'ils ont compris de cette pandémie pour corriger leurs fausses idées et imaginations et les informer en fonction de leur âge et du degré de leur capacité à comprendre les mots, les concepts. Ne pas hésiter à utiliser des images et des vidéos illustratives.
Ecouter aussi l'expression de leurs émotions, leur peurs et angoisses, les rassurer. Dans ce sens, les parents doivent donner l'exemple à leurs enfants de calme et sérénité en maîtrisant au maximum leurs colères et disputes. Il faut ritualiser le quotidien de la famille en général et des enfants en particulier.
Pour ces derniers, faire un programme qui permettra de structurer leur temps pour le rendre plus rentable et instaurer une hygiène de vie en rapprochant le plus possible la vie en confinement de celle habituelle ; se réveiller tôt, un temps d'apprentissage, un temps de recréation, un temps de jeux de société, de discussion en famille, un temps d'activité sportive, éviter les veillées tard la nuit.
Les écrans seront introduits comme des renforçateurs, c'est-à-dire les utiliser pour récompenser une bonne séance d'apprentissage par exemple. Le fait d'instaurer un programme proche de la vie habituelle évitera les grands écarts et les grands retards dans les apprentissages, et facilitera ainsi l'adaptation à la situation du déconfinement et le retour en classe.
Il existe des sites internet qui proposent des astuces pour bien gérer le quotidien des enfants. À titre d'exemple, l'Organe national de protection et de promotion de l'enfance publie régulièrement des documents dans ce sens et a mis son numéro vert 1111 pour toute personne, en particulier les enfants et leurs parents qui veulent se renseigner ou contacter un professionnel pour des conseils ou une consultation en ligne.
Et les parents dans tout cela ? Auront-ils eux aussi besoin d'un suivi ?
Les parents des enfants qui présentent des troubles psychiques (autisme, retard mental, psychose ou autres) peuvent nécessiter une guidance, voire une consultation en ligne ou dans les services des urgences. Dans ce sens, le service de pédopsychiatrie de Chéraga (Alger) a mis à la disposition de la population une équipe d'urgence pour les consultations sur place et une page facebook intitulée "Cellule d'écoute et de soutien psychologique pédopsychiatrie Chéraga" où figure le numéro de téléphone du service, ainsi que des documents portant des conseils et orientations aux parents.
Les élèves des classes d'examen vont nécessiter une attention particulière. Il est souhaitable que les pouvoirs publics analysent bien leur situation actuelle pour comprendre leurs difficultés et leurs appréhensions dans le but d'élaborer une stratégie adéquate qui permettra le déroulement des examens dans les meilleures conditions.
Limiter les programmes, instaurer des cours de soutien, replanifier les examens et d'autres mesures peuvent être nécessaires pour les rassurer, diminuer leurs inquiétudes et augmenter leurs performances. Les parents ont aussi un grand rôle à jouer en mettant à l'aise leurs enfants, ne pas être très exigeants, les accompagner dans cette situation inédite, en leur offrant les conditions les plus optimales possibles.

Propos recueillis par : Souhila HAMMADI


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