Liberté : Depuis le début de la pandémie, le CHU Nedir-Mohamed, en tant qu'importante structure de santé à Tizi Ouzou, a été au premier plan de la lutte contre le coronavirus, et continue de l'être. Pouvez-vous nous expliquer comment votre hôpital affronte cette situation ? Yazid Mouzaoui : Dès le départ, nous avions mobilisé trois services, à savoir ceux des maladies infectieuses et de pneumologie, qui totalisent une capacité de 50 lits et celui de médecine interne d'une capacité de 15 lits. Puis, il fallait trouver un moyen pour prendre en charge les malades de ces spécialités, hors Covid, dans d'autres services. Ensuite, nous avions mis en place un dispositif de consultation grippe et, à partir de là, tout malade nécessitant une hospitalisation est affecté dans l'un des trois services dédié au Covid, et lorsque c'est un malade asymptomatique, qui doit donc juste être confiné à domicile, il est renvoyé chez lui. Au départ, nous hospitalisions tous les malades sur instruction du ministère et il fallait avoir deux PCR négatives pour faire sortir un malade. Mais avec le temps, la définition du concept de malade Covid, notamment pour ce qui concerne les modalités et la durée de son hospitalisation, a évolué. Ainsi, à présent, même un malade positif peut quitter l'hôpital au bout de cinq jours pour être confiné à domicile, avec un traitement bien sûr. Cela, parce qu'au début, nous n'avions pas de problème de places, nous étions très à l'aise surtout que les malades hors Covid ne venaient plus à l'hôpital, mais avec l'accalmie enregistrée il y a quelques semaines, nous avions repris les activités dans tous les services, et la situation a donc changé, surtout avec la recrudescence des cas de contamination. à comprendre donc que le CHU connaît à présent, à l'instar de la plupart des structures de santé du pays, une saturation en termes de malades Covid hospitalisés ? Il y a une recrudescence des cas de contamination et nous sommes donc à la limite des capacités actuelles du CHU. Nous avons réuni, hier, le conseil scientifique et les médecins ont débattu de l'éventualité de l'ouverture de deux nouveaux services pour accueillir plus de malades en cas d'afflux important. Nous continuons, certes, à prendre en charge nos malades, mais nous sommes appelés à ouvrir de nouvelles structures pour pouvoir y faire face en cas de nécessité. Pour le moment, nous ne savons pas ce qu'il peut réellement se passer avec cette pandémie, nous sommes obligés de nous préparer au cas où elle prendrait une tournure plus grave. Au CHU, nous nous appuyons sur des prévisions épidémiologiques objectives, et notre service épidémiologique prévoit une ascension du nombre de cas et, par conséquent, comme ici au CHU, nous avons 45 services et que la priorité actuellement est la prise en charge des malades Covid, nous pouvons, en cas de nécessité, jumeler certaines spécialités dans un même service pour dédier d'autres services pour la prise en charge de ces malades Covid, et éviter, ainsi, tout risque de saturation. En revanche, le problème qui risque de se poser est la réanimation et non pas le nombre de cas symptomatiques ou asymptomatiques. Ces derniers, nous pouvons les prendre en charge au sein des services, mais en réanimation, il n'y a pas beaucoup de places. La réanimation est concentrée principalement au CHU. Nous avons pratiquement 90 lits de réanimation, et dans la prise en charge du Covid, tout se joue en réanimation, parce qu'un malade hospitalisé avec ou sans symptôme est guéri au bout d'une semaine et peut rentrer chez lui, mais ce n'est pas le cas pour ceux de la réanimation. Jusque-là, nous n'enregistrons pas de saturation en réanimation, mais il faut savoir que pour ces 90 lits, nous avons aussi des malades hors Covid qui nous arrivent même des wilayas limitrophes, donc nous avons réservé la moitié des lits pour les malades Covid et l'autre moitié pour les autres malades que nous devons prendre en charge pour d'autres pathologies. Le personnel médical est en lutte contre la pandémie depuis maintenant quatre mois, malheureusement, le virus continue à faire toujours plus de victimes. Peut-on savoir dans quel état d'esprit est aujourd'hui le personnel mobilisé dans votre CHU ? Je dois, en premier lieu, rendre hommage à tout le personnel hospitalier, qu'il soit médical ou autre, pour sa grande mobilisation. À vrai dire, au début, tout le monde pensait que cette pandémie allait durer une courte période et tout le monde s'est donné à fond, mais quatre mois après, sincèrement, le personnel commence à ressentir une certaine fatigue. Il demande aussi de la protection, et c'est normal, et d'ailleurs, nous avons déployé des efforts considérables pour le protéger. Pour éviter la fatigue, nous avons opté pour la solution d'un fonctionnement en rotations, notamment pour ce qui est du corps paramédical. Mais si cela perdure, c'est épuisant et cela risque d'affecter le moral des troupes. La population, et cela a été le message du conseil scientifique d'hier, doit nous aider et penser à nous protéger en respectant les recommandations des médecins quant à la limitation des visites à l'hôpital et au respect des mesures de protection. Depuis le déconfinement total de la wilaya de Tizi Ouzou, les contaminations sont reparties à la hausse. À votre avis, cela est-il dû au seul relâchement de la population ? La hausse des contaminations n'est pas liée strictement au déconfinement. Il y a d'autres critères et d'autres circonstances, mais il est vrai qu'au début, les gens étaient sensibles à la dangerosité de la situation, mais avec le temps, il y a eu un relâchement, il y a eu aussi l'épuisement et d'autres problèmes entraînés par le confinement, qui sont à l'origine de la situation actuelle. De toute façon, le confinement ne peut pas durer éternellement. Même dans les pays où on a observé des courbes très importantes comme l'Italie, la France et l'Espagne, on a fini par déconfiner. Il y a aussi dans notre pays des wilayas qui sont toujours en confinement, mais qui enregistrent un nombre de cas important. Donc, le déconfinement ne peut, à lui seul, expliquer cette hausse des cas. Le déconfinement n'est pas une fatalité, toutefois, il y a des mesures qui doivent être suivies et qui, malheureusement, ne le sont pas toujours. Outre le relâchement, de plus en plus de personnes disent que le virus n'existe pas. Ce discours ne risque-t-il pas justement d'aggraver la situation actuelle ? Ceux qui disent que le Covid n'existe pas se trompent parce que le virus existe bel et bien, il n'y a qu'à voir le nombre de décès enregistrés. Pas plus tard qu'hier, nous avons enregistré le décès de deux médecins radiologues au niveau national, et même ici au CHU, nous avons des personnes touchées, à l'instar de nombreux citoyens. C'est un virus qu'il ne faut pas sous-estimer et prendre très au sérieux. La population doit prendre conscience que même après le déconfinement, elle doit continuer à respecter les mesures de prévention édictées par les médecins. Pour le moment, la prévention est le seul remède à ce virus. Pour nous, lorsque des malades arrivent à l'hôpital, c'est qu'il y a échec dans la prévention, la seule à même de casser la chaîne de transmission du virus. Ce qui complique la situation, c'est que les sujets jeunes, même lorsqu'ils sont malades, ils sont asymptomatiques, et ce sont eux qui transmettent la maladie aux personnes âgées qui se retrouvent ensuite à l'hôpital. On entend épisodiquement à Tizi Ouzou des personnes se plaindre du manque de kits de prélèvement et de réactifs. Cet état de fait induit des retards dans la remise des résultats des tests et influe aussi sur les statistiques des sujets atteints. Qu'en est-il au juste ? Depuis le début de la pandémie à Tizi Ouzou, on a eu quand même la chance d'avoir un laboratoire à l'université où il y avait déjà les équipements nécessaires, et le recteur a tout fait pour que ce laboratoire fonctionne en collaboration avec l'Institut Pasteur. Depuis, les résultats nous les avons en 24-48h maximum. Il arrive, toutefois, d'enregistrer des ruptures de réactifs ou de kits, mais globalement, cela ne pose pas réellement de problème pour la prise en charge des malades puisque, pour nous, les résultats de la PCR constituent juste un indicateur : lorsque nous recevons un malade qui présente des signes, nous le prenons tout de suite en charge, car pour nous, il est positif jusqu'à preuve du contraire. Il y a aussi, au CHU, un scanner dédié spécialement aux malades Covid, et donc une panoplie d'examens qui peuvent déterminer, du moins jusqu'à un certain pourcentage, si c'est un malade Covid. Il y a un questionnaire, et s'il remplit un certain nombre de critères, il est considéré comme patient Covid et nous le mettons sous traitement avant même d'avoir les résultats de la PCR, comme cela se fait même en Europe lorsqu'ils sont dépassés. Si vous deviez vous adresser à la population par ces temps difficiles, que lui diriez-vous ? Nous ne savons pas combien de temps cette pandémie durera, mais nous la rassurons. Le CHU a les moyens de prendre en charge ses malades, et ils n'ont donc pas à s'inquiéter. Mais l'idéal est qu'il n'y ait plus de malades et cela passe inévitablement par la prévention, notamment le respect des mesures barrières qui demeurent le seul moyen pour réduire le nombre de contaminations. Cette pandémie est une question de chaîne de transmission, et quand cette chaîne est brisée, c'est la pandémie qui est brisée. Lorsqu'on porte le masque, qu'on se lave les mains et qu'on respecte la distanciation physique, on réduit de 90% le risque de contamination. Entretien réalisé par : Samir LESLOUS