Alors que le pays connaît une ébullition sociale, marquée par de nombreux mouvements de grève, pour les politiques, l'heure est au règlement de comptes personnels et entre partis. La pandémie de coronavirus officiellement vaincue en Tunisie, voilà que la crise politique, déjà latente, remonte à la surface avec des déchirements au sommet de la sphère du pouvoir et dont les conséquences risquent de plonger le pays dans l'inconnu. Alors que le parti d'obédience islamiste Ennahdha, principale force politique du pays, actait dimanche soir le processus de retrait de confiance au chef du gouvernement Elyas Fakhfakh, une bataille a été aussitôt engagée par quatre partis dans l'arène parlementaire, réclamant la démission de Rached Ghannouchi de la présidence de l'hémicycle. Il se trouve que c'est lui-même (Ghannouchi) qui a été désigné par le conseil de la choura de son parti Ennahdha pour entamer les négociations et les concertations nécessaires avec le président de la République, Kaïs Saied, les partis politiques et les forces politiques et sociales "afin de décider d'une nouvelle formation gouvernementale". Dans une déclaration à l'agence de presse TAP, Imed Khémiri, porte-parole du mouvement Ennahdha, a estimé que "cette nouvelle formation gouvernementale est de nature à mettre fin à la crise politique actuelle, aggravée par la situation économique et sociale générée par la pandémie de coronavirus et par l'éventuelle implication du chef du gouvernement, Elyas Fakhfakh, dans une affaire de conflit d'intérêts". "Chercher à former une nouvelle équipe gouvernementale représente la nouvelle position d'Ennahdha à l'égard des conséquences de la pandémie", a ajouté Khémiri, précisant que la situation générale en Tunisie ne peut plus supporter davantage de lenteur. Durant toute la semaine, la formation islamiste a multiplié les sorties médiatiques accablantes contre le chef du gouvernement sur lequel pèse des soupçons de "corruption et de conflit d'intérêts". "L'affaire de soupçons de corruption et de conflit d'intérêts pesant sur Elyas Fakfakh a nui énormément au gouvernement de coalition", avait déclaré, samedi dernier, le président du conseil d'Ennahdha, Abdelkrim Harouni, en rappelant que son parti avait soutenu Fakhfakh, toléré ses choix et également discuté avec lui afin qu'il puisse développer son gouvernement. Devant le refus de ce dernier, Ennahdha a décidé de passer en force en tentant d'imposer une nouvelle configuration gouvernementale, mais non sans risque de provoquer une grave crise politique, alors que le pays vit au rythme d'une ébullition sociale de plus en plus menaçante, sans parler de la situation économique dont les indices ont atteint, ces derniers mois, des niveaux historiques. Avec, en sus, un parlement qui tient sur des alliances extrêmement fragiles, la crise ne se fera que plus ressentir. Preuve en est, moins de 24 heures après la décision d'Ennahdha de tourner la page Fakhfakh, quatre blocs parlementaires sont montés au créneau pour réclamer la tête de Ghannouchi, président de l'ART, accusé de mauvaise gestion. Selon plusieurs médias tunisiens, le bloc démocrate (Attayar et Echaâb), le bloc national de Tahya Tounes et le bloc de la Réforme présidé par Hassouna Nasfi ont entamé hier la collecte de signatures pour présenter une motion de censure à l'encontre de Ghannouchi. Le pays risque désormais de se retrouver dans une situation de vide constitutionnel dont les conséquences mèneront la Tunisie vers une véritable crise et un éclatement politique. Karim Benamar