A voir le nombre de comparutions des membres du gouvernement et de leur chef, Elyes Fakhfakh, devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), en plénière ou en commission, depuis leur investiture le 26 février dernier, cela confirme le doute que l'ARP ne s'identifie pas à ce gouvernement. L'ARP veut exercer son droit de contrôle sur tous les détails. La lecture des événements depuis l'installation de l'équipe d'Elyes Fakhfakh, il y a moins de trois mois, montre que ce dernier ne se laisse pas manipuler par la majorité hétéroclite qui l'a mise au pouvoir, notamment les islamistes d'Ennahdha et leur chef, le président de l'ARP, Rached Ghannouchi. M. Fakhfakh a dit cela, expressément, dans une interview à la télé nationale, le 22 mars dernier. «Je me déplace à l'Assemblée, en cas de besoin, tel que le stipule la Constitution», avait-il déclaré sur un ton signifiant qu'il fallait le laisser travailler en paix, pour accomplir les tâches dont il est chargé. «Mais ceux qui ne cessent d'interpeller le gouvernement ont peur qu'il réussisse», remarque le député Mustapha Ben Ahmed, président du bloc parlementaire du parti TahyaTounes, dont la majorité soutient le gouvernement. Les observateurs remarquent que la présidence du gouvernement et, à un degré moindre, la présidence de la République occupent le devant de la scène, surtout avec l'avènement du Covid-19 et des décisions prises à son encontre, qui se sont avérées judicieuses, comparativement aux catastrophes constatées en Europe et aux Etats-Unis. Elyes Fakhfakh et son ministre de la Santé, Abdellatif Mekki, ont crevé les écrans par des sorties médiatiques sur le Covid-19, attirant la grande foule. Et comme M. Fakhfakh est indépendant et Mekki est le chef de file de l'aile d'Ennahdha, ouvertement critique de Ghannouchi, ce dernier veut assurer ses arrières. Ghannouchi a facilité l'octroi à Mekki du ministère de la Santé, pour l'écarter des préparatifs du congrès d'Ennahdha. Et voilà que la tournure des événements propulse Mekki au-devant de la scène. Majorité flottante Tout le monde sait que la présidence de la République a forcé la main de l'ARP, pour voter la confiance au gouvernement Fakhfakh. La majorité gouvernante, formée par les partis Ennahdha, Tayar, Chaab et Tahya Tounes, est loin d'être homogène. Les islamistes d'Ennahdha ne peuvent pas mener le bal à leur guise, comme ils l'auraient souhaité, si leur allié était Qalb Tounes de Nabil Karoui. Et le pire, alors qu'Ennahdha souhaitait, en son for intérieur, se retourner contre le gouvernement Fakhfakh, dans un proche avenir et avec le soutien de Qalb Tounes, ce bloc a commencé à se désintégrer. Neuf parlementaires, dont le président du bloc Hatem Mliki, ont démissionné et formé le bloc nationaliste. Il ne reste que 29 députés avec Nabil Karoui. La majorité des 109 députés devient donc difficile, puisque le bloc d'Ennahdha ne dispose que de 54 députés. Les développements de la pandémie de coronavirus n'ont donc pas servi les calculs politiques des islamistes, puisqu'ils ont renforcé des personnalités ne travaillant pas pour le compte politique de Ghannouchi. Par ailleurs, et en plus des critiques incessantes de la députée Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), l'accusant de complots avec les terroristes et d'être inféodé à la Turquie, des appels ont surgi, ces derniers temps, sur les réseaux sociaux, réclamant la dissolution de l'ARP. Ils accusent Ghannouchi de toutes les traîtrises. Le ton des appels rappelle le populisme des sympathisants du président Saied, lors de la campagne présidentielle. Mais, aucun parti politique ne s'est identifié derrière ces campagnes. Néanmoins, la direction d'Ennahdha a cru utile de publier un communiqué, signé par Ghannouchi, condamnant ces «appels au désordre». Le coronavirus a aggravé le chaos déjà installé sur la scène politique tunisienne.