Professeur en maladies infectieuses à l'établissement public hospitalier du chef-lieu de la wilaya de Batna et membre de la commission santé de l'Assemblée populaire nationale, le Pr Nora Righi a dressé un tableau de la situation épidémiologique de la wilaya tout en insistant sur la nécessité du respect des mesures barrières édictées par les autorités et les instances sanitaires nationales. Liberté : Un peu plus de quatre mois après le début de la lutte contre la pandémie de coronavirus, quel point pouvez-vous faire sur la situation ? Pr Nora Righi : Cela fait quelques semaines que nous avons constaté une hausse du nombre de contaminations et de décès. À mon avis, cela est essentiellement dû au relâchement durant le mois de Ramadhan, notamment les jours ayant précédé l'Aïd el-Fitr et le jour de l'Aïd où les regroupements familiaux qui devaient être évités ont eu lieu. Cet état de fait a conduit à une situation de saturation des structures sanitaires et, du coup, à l'épuisement des personnels du service Covid-19, notamment dans certaines wilayas dont Sétif, Batna, Oran, Blida, Alger, Biskra, El-Oued. Pis encore, ces derniers temps, nous assistons à des formes plus sévères avec principalement des atteintes pulmonaires détectées radiologiquement. Ces dernières s'aggravent. C'est ce qui explique l'augmentation du nombre des décès. Dans votre service dédié à la Covid-19, avez-vous les moyens de protection individuelle et autres moyens pour faire face à cet ennemi invisible, surtout pour gérer le flux important de patients ? Nous n'avons pas enregistré de manque dans les moyens de protection car tout le monde a mis la main à la pâte. Associations et bienfaiteurs ont doté les structures sanitaires de moyens, notamment de consommables (bavettes, charlottes, surblouses, surchaussures, gel hydroalcoolique...) pour les mettre à la disposition du personnel soignant qui lutte contre ce maudit virus depuis le mois de mars. En effet, ils n'ont ménagé aucun effort pour venir en aide aux hôpitaux durant cette période difficile. Par ailleurs, je tiens à souligner que le personnel soignant est insuffisant. Je lance un appel aux professionnels de la santé pour venir renforcer les rangs des blouses blanches qui sont, il faut le dire, au bord du burn-out. Ils doivent s'investir davantage pour prêter main-forte à leurs confrères qui sont épuisés. Le rendement des personnels en lutte contre le virus baisse de jour en jour et ils doivent prendre un moment de répit pour récupérer car le virus est encore là. La lutte peut durer. Les structures ouvertes dans la wilaya sont-elles suffisantes ? Le grand nombre de personnes symptomatiques nécessite l'ouverture d'autres structures sanitaires pour renforcer celles existant depuis le début de la pandémie. Nous devons ouvrir davantage de structures de consultation et de prise en charge avec un déploiement des personnels tous grades et spécialités confondus.Je propose même de privilégier l'adoption, voire le renforcement du système d'hospitalisation à domicile, avec bien sûr un suivi rigoureux des patients qui en bénéficient. Cela permettra sans nul doute d'arrêter l'évolution vers les formes graves, voire mortelles. Quelles sont, à votre avis, les véritables causes qui sont derrière l'augmentation des cas de contamination et de décès ces dernières semaines ? Ce n'est un secret pour personne, et le commun des mortels sait très bien que le relâchement dans les mesures de confinement ainsi que le non-respect des gestes barrières, dont le lavage fréquent des mains, le port de la bavette et la distanciation physique, ont contribué à la hausse des cas et à la propagation qu'on qualifie de vertigineuse, par endroits, du virus. À cela s'ajoute le fait que beaucoup de gens ont, après l'Aïd el-Fitr, repris leur vie normalement au point qu'ils ont organisé des fêtes de mariage et se sont regroupés durant les funérailles. Cela a conduit à la catastrophe. À votre avis, quelles sont les stratégies qui doivent être adoptées pour juguler la propagation du coronavirus ? Personnellement, je ne vois pas l'utilité du confinement social car cela peut présenter un risque pour la population et des effets néfastes sur les personnes âgées et celles souffrant de comorbidités (diabétiques, hypertendues...). En effet, il serait plus judicieux de penser à un isolement ciblé, voire à une mise en quarantaine de quartiers ou de cités. La hausse des formes symptomatiques et asymptomatiques, notamment chez la population jeune, peut constituer un danger pour ces personnes vulnérables. Nous demandons aux jeunes, qui ont souvent une bonne immunité et qui ont pris à la légère cette pandémie, de préserver leur santé ainsi que celle de leurs proches, afin de sauver ce qui peut encore l'être. Avec leur comportement irresponsable, ils sont en train de nuire à leur entourage et à toute la société...