C'est au tour des trois frères Kouninef de passer à la barre. Ils sont accusés dans plusieurs affaires de corruption. Contrôlant des pans entiers de l'économie nationale, la famiglia constituait à elle seule un véritable pouvoir parallèle. Le procès des frères Kouninef — Réda, Abdelkader-Karim et Tarek-Noah — s'est ouvert au tribunal correctionnel de Sidi M'hamed à Alger. Très attendue, la première audience n'a pas manqué, en effet, de révéler l'ampleur du siphonnage du Trésor public durant les 20 ans de règne du président déchu, par une famille connue pour sa proximité avec les Bouteflika. Les chiffres fournis par la juge pour les quelques secteurs qu'elle a traités durant la journée d'hier énonce, on ne peut plus clairement, que le groupe KouGC avait réellement la mainmise sur la commande publique. Rien que pour le secteur des ressources en eau, les frères Kouninef ont décroché 11 projets. "Pour quel montant avez-vous réalisé les 11 projets du secteur des ressources en eau ?" a demandé la juge à Réda Kouninef, l'aîné des Kouninef. Ce dernier a dit ne pas se souvenir des chiffres. La juge rebondit pour annoncer la bagatelle de plus de 145,5 milliards de dinars, soit 14 556 milliards de centimes (un peu plus d'un milliard de dollars). Concernant toujours les projets décrochés dans ce secteur, la juge demande au prévenu s'il a intégré des entreprises étrangères dans la réalisation des projets ? Encore vague dans ses réponses, ce que la juge a relevé à plusieurs reprises, il a souligné qu'à chaque fois que le cahier des charges l'exigeait, des entreprises étrangères intégraient le groupe pour la réalisation. Le juge s'interroge, ensuite, "n'était-ce pas une manière pour vous de rafler les avis appels d'offres internationaux ?". La question est restée sans réponse. Comme toutes les autres. Sur un autre volet, la juge a rappelé qu'en 2005, le groupe KouGC a sollicité un arbitrage international dans un conflit. Ce que le prévenu a confirmé. Sur ce sujet, nous avons appris auprès des avocats que le groupe KouGC était associé à un groupe allemand dans un projet dans les télécommunications. Selon un avocat, "les Kouninef ont chargé les Allemands de suivre la procédure pour ne pas s'attirer de critiques". Concernant le contentieux avec Algérie-Télécom, la juge a annoncé qu'après le conflit né suite à l'installation des cabines téléphoniques (El-Houria) et le lancement de la téléphonie mobile, les Kouninef ont reçu un remboursement de quelque 281 milliards de centimes d'Algérie Télécom. Elle a également rappelé que les comptes de l'entreprise publique ont été bloqués suite à ce conflit. En réponse à ces informations données par la juge, Reda Kouninef a estimé que "c'était l'opérateur public qui était dans l'erreur et il devait rembourser près de 400 milliards de centimes et nous n'en avons reçu que 281 milliards". Le financement occulte de la campagne reconnu Poursuivant les questions adressées au prévenu Reda Kouninef, la juge a informé que le Fonds national d'investissement (FNI) a versé une somme de 4 milliards de centimes sur le compte BNP Paribas à Reda Kouninef et que ce dernier les a utilisés pour financer la campagne électorale pour le 4e mandat d'Abdelaziz Bouteflika. Une accusation que Reda Kouninef récuse, mais confirme, néanmoins, qu'il a participé au financement de la campagne électorale de Bouteflika. "Je n'ai jamais utilisé cet argent versé par le FNI pour financer la campagne de Bouteflika, mais j'ai donné un chèque libellé au nom de la direction de campagne de mon propre argent", a-t-il, en effet, répondu. Pour rappel, un procès sur le financement occulte de partis politiques s'est tenu au mois de décembre de l'année dernière, où plusieurs personnes ont été condamnées. Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia, Ahmed Mazouz, Hassan Arbaoui..., ont écopé de plusieurs années de prison ferme dans le cadre de cette affaire. Après avoir énuméré plusieurs autres secteurs avec lesquels le groupe KouGC avait travaillé, la juge cite, en exemple, les bases de vie réalisées au sud du pays, les extensions du métro... "Comment avez-vous décroché tous ces projets", a-t-elle demandé, avant que Reda Kouninef n'explique qu'il répondait aux avis d'appels. "L'enquête a révélé qu'à chaque fois que vous décrochiez un projet, vous preniez attache avec un haut responsable de ce secteur, comment pouvez-vous expliquer cela ?" Reda Kouninef est resté évasif dans sa réponse, avant que la juge n'enchaîne en demandant s'il n'utilisait pas ses connaissances pour décrocher ces projets. "Je n'ai jamais utilisé mes liens d'amitié avec ces gens pour avoir des projets", a répondu Reda Kouninef, expliquant que concernant l'extension du métro, l'ancien ministre des Transports, Abdelghani Zaâlane, m'a appelé "pour me féliciter". La juge l'interroge, ensuite, sur ses relations avec l'ancien conseiller de président déchu, son frère Saïd. "Seule l'amitié me lie avec Saïd Bouteflika", a-t-il répondu. "Nous avons loué une villa à Alger que nous payions à hauteur de 450 000 DA par mois", a répondu Reda Kouninef à la question de la juge. Après avoir précisé qu'il a toujours loué, il a fini par annoncer qu'il avait acheté une villa à El Biar pour environ 500 millions de dinars (50 milliards), en plus de la maison familiale en Suisse. Interrogé sur les comptes bancaires à son nom, le prévenu a souligné qu'il n'en détient que deux. Un en Algérie et un autre à l'étranger. Interrogé sur les deux entreprises publiques qu'il a rachetées, à savoir les deux filiales, algéroise et oranaise de l'Entreprise nationale des corps gras (ENCG), les questions-réponses ont révélé l'ampleur des dégâts occasionnés à l'économie nationale à travers ces privatisations, puisqu'aucun bilan n'a été fait. Ainsi, l'on apprend que les Kouninef n'ont pas respecté leurs engagements dans la reprise des filiales Cogral (Corps gras d'Alger) et COGO (Corps gras d'Oran). Après un conflit avec les travailleurs, l'Etat a déboursé la rondelette somme de 120 milliards de centimes de remboursement. "On nous a empêchés d'accéder à l'usine durant plusieurs années", a justifié Reda Kouninef ces remboursements, annonçant que la reprise des deux filiales a coûté 96 milliards de centimes. Interrogé ensuite sur ses concessions dans les ports, comme celui d'Alger avec 64 000 m2, la juge a annoncé que le Conseil des participations de l'Etat (CPE) a effacé les dettes. Une accusation que le prévenu a niée, en expliquant que les dettes épongées étaient antérieures à notre arrivée en 2008. La juge le relance sur la concession obtenue au port d'Oran d'une superficie de 8 800 m2 et celle de Jijel (Djendjen), annonçant que c'était la SGP qui gérait le port d'Oran qui a payé la concession-location. Concernant l'assiette obtenue au port de Djendjen pour l'installation de l'usine de trituration de graines oléagineuses, Reda Kouninef a estimé qu'il a été lésé. "Nous avions demandé 16 hectares et la direction du port nous a amputés de la moitié, nous avons alors été obligés de construire en dehors du port et en hauteur pour installer toute l'usine." À noter que 15 accusés et 45 personnes morales sont impliqués dans l'affaire. Le procès se poursuivra aujourd'hui, avec l'audition des deux autres frères Kouninef. À préciser, enfin, que la juge a refusé de jumeler les deux dossiers dans lesquels les frères Kouninef sont poursuivis. Celui des ex-Premiers ministres et ministres est toujours à la Cour suprême. Les frères Kouninef sont poursuivis pour plusieurs chefs d'inculpation dont "trafic d'influence", "blanchiment d'argent", "obtention d'indus avantages", "détournement de fonciers et de concessions" et "non-respect des engagements contractuels dans la réalisation de projets publics".