Le différend entre le bâtonnier d'Alger et le juge de siège est en voie de se transformer en conflit plus profond entre la corporation des avocats et celle des magistrats. L'activité judiciaire a manqué, hier, dans toutes les juridictions du pays, d'un de ses principaux maillons : les plaideurs. Les robes noires ont respecté scrupuleusement le mot d'ordre de l'Union nationale des barreaux, celui de boycotter les procès hier et aujourd'hui. La plupart des affaires enrôlées pendant la grève des avocats ont été ajournées à des dates ultérieures. Le président de la première chambre pénale près la cour d'Alger, source de la colère de la corporation, a, lui aussi, reporté le prononcé du verdict dans le procès en appel de l'ex-patron de Sovac, Mourad Oulmi, au 10 octobre prochain. Pourtant, le collectif de défense, par la voix du bâtonnier d'Alger, a demandé plutôt le renvoi du procès. S'en est suivi l'incident d'audience survenu le 24 septembre. Le différend entre le bâtonnier d'Alger et ledit juge de siège — menace de l'évacuer par la force publique — est en voie de se transformer en un conflit plus profond entre la corporation des avocats et celle des magistrats. La section locale du Syndicat national de la magistrature a apporté un soutien franc à l'un des siens. Elle a accusé clairement Me Sellini d'avoir voulu imposer sa requête contre l'avis du juge, en adoptant un comportement répréhensible. "Provoquer le désordre et porter atteinte au bon déroulement de l'audience, manquer à l'obligation de respect du juge à travers des expressions honteuses, donner un coup de pied à la porte de la salle d'audience", etc. sont des actes qui constituent, selon le SNM, "une atteinte à une autorité d'une institution souveraine de l'Etat". L'entité syndicale cite les articles 144 et 147 du code pénal, dont les dispositions font encourir à l'auteur de pareils dépassements jusqu'à deux ans de prison, sous-entendant de potentielles poursuites judiciaires contre Me Sellini. Quelques heures plus tard, le Conseil de l'Ordre des avocats d'Alger a répliqué sur un ton aussi tranchant, défendant à son tour son bâtonnier. "Ce qui a été avancé dans le communiqué de la section d'Alger du Syndicat national des magistrats concernant des prétendus actes (judiciaires), et qui renferme une menace indirecte de poursuite à l'encontre du représentant des avocats, ne peut que renforcer la détermination de l'organisation à continuer à défendre les droits et libertés", a assené le bureau du Conseil dans un communiqué, rendu public tard dans la soirée de mardi. Il se réserve le droit, en conséquence, "de porter plainte pour faux en écriture publique au cas où des actes (judiciaires) auraient été rédigés en dehors de la salle (d'audience) et en l'absence de la défense". Intransigeant, le barreau d'Alger retourne l'accusation à l'accusateur en rappelant que la corporation "défend les droits et les libertés. Son ennemi est celui qui piétine les droits des justiciables et les principes du procès équitable, peu importe sa qualité et son poste, et si le Syndicat national des magistrats a un ennemi, qu'il ait le courage de le nommer". Il s'insurge, en outre, contre ce qu'il considère comme des tentatives de tromper l'opinion publique par des insinuations malencontreuses. Il précise qu'il ne défend pas uniquement les intérêts d'une catégorie de personnes (les hommes d'affaires et hauts responsables de l'Etat), tel que le prétend le SNM, mais tous les justiciables, essentiellement les activistes du Hirak depuis plus d'une année. Les avocats du barreau d'Alger n'excluent pas l'éventualité de durcir davantage la contestation.