12 personnes ont été interpellées par la Police judiciaire dans le cadre d'une enquête sur le meurtre de deux élus et le trafic du foncier dans cette commune. Le 26 octobre 2004, Nacer Menasria 40 ans, second vice-président d'Ennahda de l'APC de Bordj El-Bahri à l'est d'Alger ainsi que Houari Mohamed, un ex-élu du FLN étaient tués par arme à feu au lieu-dit Brise Marine à l'entrée de la localité. Rapidement, la thèse de l'attentat terroriste était évacuée par les enquêteurs au profit de celle du règlement de compte lié au trafic du foncier. Depuis plusieurs années déjà, la commune était éclaboussée par des scandales de cette nature. La vente sous le manteau de lots de terrain à vocation agricole avait donné lieu à des manifestations de citoyens escroqués. Cependant, rien ne sera jamais entrepris contre les trafiquants, officiant au sein de la collectivité locale. Il aura fallu un double meurtre pour que la police mette en lumière le sombre commerce en cours depuis au moins deux mandats. Le pot aux roses mêle trafic d'influence, faux et usage de faux, usurpation d'identité, escroquerie, corruption, dilapidation de deniers publics, blanchiment d'argent et double assassinat. En somme, il s'agit d'une grosse affaire qui a mobilisé pendant 8 mois la brigade centrale de la répression du faux relevant de la direction générale de la police judiciaire (DPJ). Les résultats préliminaires des investigations ont mené à l'arrestation de 12 individus, la plupart travaillant au sein de l'APC, dont 5 ayant participé directement à l'attentat contre les deux élus. Le troisième incriminé est actuellement en fuite à l'étranger. “Des centaines de lots de terrain ont été détournées”, révèle Salah Derradji, chef adjoint de la direction de la lutte contre le banditisme et le crime organisé. En compagnie de l'officier Boukhaoua Farid, chef de la brigade centrale de la répression du faux, il a présenté hier les résultats de l'enquête au cours d'une conférence de presse au siège de la DPJ. L'affaire, qui avait échu au début aux services de la sûreté d'Alger, avait abouti abusivement à l'arrestation d'un homme de 73 ans, connu pour être un ennemi de l'élu Ennahda. Depuis près d'une année, le faux coupable croupit en prison. Il aurait pu y passer le restant de ses jours si ce n'est qu'un des vrais assassins est passé aux aveux. Arrêté il y a trois jours, il est désigné comme étant l'animateur du gang. En se faisant passer pour un commandant de la sécurité militaire, le dénommé D. Mabrouk, la cinquantaine, a rapidement porté les soupçons sur lui. Les éléments de la brigade déployés autour de l'APC étaient intrigués par ses visites fréquentes au siège de la mairie. Après quatre mois de recherche et de filature, ils l'ont identifié comme étant un petit chef chargé d'un groupe d'agents de sécurité au Conseil de la nation. “Nous avons réussi à démontrer que cette personne usait de son faux rang pour se livrer au trafic du foncier au sein de la commune de Bordj El-Bahri. Sur cette base, nous avons procédé à son interpellation”, confie le commissaire Derradji. Comme ses complices, D. Mabrouk sera présenté lundi au parquet. Lors de la perquisition de son domicile, les enquêteurs ont découvert une véritable usine du faux. Certaines pièces sont authentiques. Quelques-unes figurent parmi des documents officiels subtilisés du Sénat (lire papier ci-dessous). Les autres papiers comportent de vraies cartes d'identité, 10 diplômes vierges du CAPA (certificat d'aptitude pour la profession d'avocat). D. Mabrouk s'est même octroyé une licence en droit, reproduite dans un certificat en bonne et due forme. Il est aussi sénateur. Y atteste une carte professionnelle portant la signature du directeur des affaires administratives du conseil. Comme ses autres fausses fonctions, une telle mention devait lui servir à traiter ses affaires et à escroquer de pauvres gens. Cependant, sans complicités au sein de la mairie, il n'aurait jamais pu élargir son trafic en toute tranquillité. Pour faire vrai, le faux commandant de la SM se présentait à l'APC avec un pistolet en plastique. Le jouet était fait pour impressionner le petit personnel. “Avec le temps, il était devenu célèbre à Bordj El-Bahri -où il résidait”, observe le commissaire Derradji. Connaissant sa véritable facette et ses motivations, des responsables véreux ont marché quant à eux dans la combine. Pour les besoins du trafic, ils ont mis à sa disposition documents, cachets et signature. Dans le lot découvert chez lui, figure le cachet de l'élu D'Ennahda. Les policiers ont aussi mis la main sur des centaines de décisions d'attribution de lots de terrain et la même quantité en permis de construire. Certaines autorisations ciblent des terres appartenant à une des localités voisines. “Les décisions se vendaient quatre à cinq fois”, soutient le chef adjoint de la direction de répression du banditisme. “Il est clair que ces décisions ont été établies avec la complicité du maire”, précise le chef de la brigade de lutte contre le faux. Selon nos interlocuteurs, son arrestation ainsi que son prédécesseur n'est qu'une question de temps. La mise en place d'une commission rogatoire devra aboutir à la levée de l'immunité sur les deux maires. “Les affaires liées au trafic du foncier sont longues”, commente le commissaire Derradji suggérant que la liste des personnes impliquées à Bordj El-Bahri est encore loin d'être close. “Elle est appelée à s'élargir”, martèle son collaborateur. Avec un minimum de 200 millions de centimes pour la plus petite parcelle de terre, le filon a assurément suscité beaucoup de convoitises. Le responsable d'un cabinet d'architecture sis dans la région est d'ores et déjà dans le box des accusés. Affaire à suivre Samia Lokmane