Décédé dans la nuit de dimanche, Ali El Kenz, dont la pensée a traversé les frontières, a inspiré grand nombre d'étudiants en sociologie à Alger, Tunis et Nantes. Une sommité de la sphère intellectuelle algérienne vient de nous quitter dans la soirée du 1er novembre. Personnalité atypique connue pour son esprit vif, son engagement et ses travaux, Ali El Kenz, dont la pensée a traversé les frontières, a inspiré grand nombre d'étudiants en sociologie à Alger, Tunis et Nantes. Décédé à l'âge de 74 ans des suites d'une longue maladie, il a laissé pour la postérité des ouvrages de références tels que Au fil de la crise, Gramsci dans le monde arabe, Les maîtres penseurs ou encore Ecrit d'exil, ainsi que des articles et contributions dans la presse. Il publie également, en 1980, L'économie de l'Algérie dans lequel il signe sous le pseudonyme de Tahar Benhouria, en référence à son quartier à Skikda. Dans ce livre "dense de 450 pages, fortement documenté, il examine les divers rouages tant institutionnels, sectoriels que régionaux de l'économie algérienne", peut-on lire sur l'ouvrage. Spécialiste de la sociologie en Algérie et dans le monde arabe, auteur et philosophe, il est né en 1946 à Skikda. De 1970 à 1974, il est maître-assistant de philosophie à l'Université d'Alger et enchaîne avec un poste de professeur en sociologie et de directeur de recherche au Centre de recherches en économie appliquée au développement à Alger (Cread). En 1993, après l'assassinat de son ami, le Pr Djilali Liabes, il est contraint de quitter le pays pour rejoindre la Tunisie, où il obtient une place de professeur associé à l'université de Tunis. Très attaché à son pays natal, El Kenz vit mal son exil. Deux ans après son installation en Tunisie, il part en France pour enseigner la sociologie à l'Université de Nantes, où il finit par s'installer définitivement. Depuis l'annonce de sa maladie, il y a quelques semaines sur les réseaux sociaux, beaucoup de messages de soutien ont été postés sur le Net par des universitaires, auteurs, sociologues ou encore étudiants. Mais ce départ semble soudain pour nombre de personnes l'ayant côtoyé, car Ali El Kenz fait partie de ces hommes qui relèvent du mythe, même de leur vivant. Pour Zoubir Arrous, professeur de sociologie à l'Université de Bouzaréah (Alger 3), contacté par Liberté, El Kenz "était l'un des adeptes de la philosophie des Lumières en Algérie, car il a étudié la philosophie avant d'être sociologue. Il pensait que la seule issue de sortie de l'impasse civilisationnelle en Algérie est le retour à sa culture et sa compréhension. Il avait pour ambition de conceptualiser une vision politico-économique pour une justice sociale". Et de regretter : "Les événements qu'a connus la société algérienne pendant les années 90 l'ont poussé à l'exil, loin de son milieu naturel. Il se voyait en Algérie même quand il était en exil. Il se préoccupait de son intérêt académique et des grandes affaires sociales." De son côté, Karim Khaled, sociologue de l'émigration, estime qu'"il était un homme engagé et passionné intellectuellement par sa société. Il a été poussé vers l'exil contre son gré. Cet exil a été une expérience douloureuse". Tout en soulignant qu'"il a été l'un des rares sociologues à avoir écrit sur l'entreprise d'El-Hadjar, et à une époque où régnait un discours dominant, il a produit un discours de contrevérité politique". Le sociologue Mustapha Madi est revenu, quant à lui, sur diverses anecdotes fort intéressantes, notamment le départ d'El Kenz en Egypte pour l'apprentissage de la langue arabe, sur son idée de la création de la revue Naqd, sa nomination à la tête de la Bibliothèque nationale, le pseudonyme Tahar Benhouria dédié à son quartier et dans lequel "il souhaitait être enterré"... Son ami et compagnon de route et ancien étudiant nous a, entre autres, confié sur l'apport du philosophe dans le domaine sociologique qu'"il était contre l'européocentrisme. Il s'est penché sur les spécificités algériennes et arabes. Il a compris ces deux sociétés, il n'a jamais été régionaliste tant sur le plan géographique qu'identitaire. D'ailleurs, il a toujours été contre la rupture linguistique et référentielle entre arabophones et francophones". Hana M.