Sur le front de la lutte contre la Covid-19, comme nombre de ses confrères, le Dr Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), pointe du doigt, dans cet entretien, les défaillances de la démarche de lutte adoptée jusque-ici. Ces défaillances sont visibles, à ses yeux, dans l'organisation du circuit de prise en charge dédié spécialement à la Covid-19 et dans l'inefficacité des enquêtes épidémiologiques. Liberté : La stratégie mise en place contre la propagation de la Covid-19 appelle-t-elle, selon vous, de profonds réajustements pour affronter la deuxième vague et atténuer les dégâts possibles ? Lyès Merabet : Ce qu'il y a lieu de savoir, en fait, c'est qu'il n'existe pas de "stratégie clés en main" capable de gérer une situation épidémique de cette ampleur. Il faut plutôt des stratégies modulables et adaptatives en fonction de l'évolution des indicateurs épidémiologiques. Le plan d'action mis en place chez nous, depuis l'avènement de la pandémie du virus Sars-CoV-2, montre déjà des signes de faiblesse au niveau préventif, marqué par un sous-dépistage des cas potentiellement contaminés. Il y a lieu de relever aussi, dans le même contexte, l'inefficacité des enquêtes épidémiologiques de terrain. Ces signes de faiblesse sont aussi visibles dans l'organisation du circuit de la prise en charge dédié spécialement à la Covid-19. Dans certaines régions du pays, notamment au Centre, les hôpitaux dédiés à la Covid-19 font depuis plusieurs semaines le plein et sont au bord de la saturation. Comment doit-on remédier à cette situation en pleine deuxième vague ? Effectivement, la situation dans les structures de santé est pour le moins préoccupante dans la région centre, notamment dans les wilayas d'Alger et de Blida. L'ensemble des services Covid-19 et les unités de réanimation mobilisés dans des services hospitaliers d'Alger et de Blida affichent complet depuis plus de deux semaines, au point de menacer sérieusement l'équilibre entre le nombre de malades candidats à l'hospitalisation et ceux déclarés sortants. Il est illusoire de penser que l'objectif recherché dans la gestion d'une crise sanitaire de cette ampleur est de relever continuellement le défi de la prise en charge des malades atteints de la Covid-19, bien que tout système de santé doit s'organiser en conséquence et continuer à dispenser des soins, tout en garantissant une prise en charge pour tous les autres besoins de la population. Nous devons surtout réussir en amont le pari de la sensibilisation et de la mobilisation citoyenne pour casser la chaîne de transmission et, du coup, ralentir la progression de l'épidémie à travers un retour à des mesures de confinement ciblé. Quelles solutions envisager pour garantir l'équilibre entre la demande grandissante et l'offre du système hospitalier menacé d'un affaissement ? En fait, dans ce genre de situation, la solution est aussi simple que complexe. Elle relève, en somme, d'une démarche globale et coordonnée où s'articulent plusieurs axes. Il faut, en fait, agir sur plusieurs niveaux pour espérer parvenir à stabiliser la situation et circonscrire la pandémie. Cette démarche doit développer l'axe de la sensibilisation et l'éducation sanitaire de la population pour le respect des différents protocoles sanitaires. Il faut une démarche qui garantisse l'efficacité des enquêtes épidémiologiques, et ce, par l'identification rapide de nouveaux clusters. L'autre axe qu'il faudra également développer est le confinement des sujets contacts, dont les professionnels de santé. Cette démarche globale devra parallèlement être accompagnée par la mise en place d'un circuit de soins et d'hospitalisations spécialement conçu pour les patients Covid-19, et ce, indépendamment des structures de santé. Le dernier axe à développer, à travers cette démarche, est la mutualisation des moyens humain et matériels entre le secteur public et privé pour une meilleure gestion de la crise. Une instruction ministérielle a été récemment promulguée pour autoriser l'utilisation et la transformation des structures de santé de proximité en centres dédiés à la Covid. Est-ce une bonne solution pour faire face à une éventuelle asphyxie des hôpitaux ? L'option retenue dernièrement par les autorités d'utiliser des polycliniques comme structures d'hospitalisation Covid-19 est une mesure qui ne répond pas aux exigences de la situation sanitaire. C'est aussi une erreur puisque cette mesure va reproduire la même problématique créée à l'hôpital avec l'arrêt de plusieurs activités hospitalières depuis des mois. Cela augmenterait également le risque de la contamination croisée entre personnel soignant-malades-accompagnateurs. Ce qui multiplierait, par conséquent, les foyers de dissémination virale avec un impact négatif certain sur le déroulement d'autres activités. Ce qui va générer aussi une déperdition en effectifs et une perturbation des programmes nationaux de santé dispensés dans nos structures extra-hospitalières. Il faut, plutôt, s'orienter vers d'autres édifices publics et mobiliser une plus grande capacité d'accueil. Il faudrait penser à aménager et équiper des structures en mutualisant l'ensemble des moyens logistiques, financiers et humains relevant de plusieurs secteurs. L'objectif assigné est d'assurer sur place le dépistage, l'isolement, l'hospitalisation et le confinement pour le personnel soignant. Autrement dit, vous interpellez, une nouvelle fois, les autorités pour adopter une autre stratégie qui protège au mieux les blouses blanches qui continuent à lutter contre le coronavirus au péril de leur vie... L'essentiel de la stratégie orientée vers la protection des professionnels de santé est mesurée dans la disponibilité des moyens de protection déjà. Des moyens qui se font de plus en plus rares, depuis quelques semaines déjà, alors que la contamination a atteint son plus haut niveau depuis le début de la pandémie au sein du corps soignant. Ensuite, viendra l'organisation du travail elle-même dans des services Covid-19. Ces services de prise en charge de la maladie doivent être de préférence établis et ouverts loin des établissements hospitaliers (sauf pour la réanimation). Il faudra ensuite penser à assurer l'alternance d'équipes pluridisciplinaires entre le travail et le confinement sanitaire dans des structures habilitées. Quel est le nombre de soignants infectés par la Covid jusque-là et celui de ceux qui ont perdu la vie ? Le nombre de contaminations en milieu professionnel qu'on a recensé jusque-là dépasse les 9 500 cas dont 139 décès pour tous le corp soignant du secteur public ou privé. Il est temps, par conséquent, de réfléchir à d'autres formes et à d'autres éléments pour protéger les blouses blanches qui mènent cette longue bataille contre le coronavirus. Il faut alors prioriser le dépistage du personnel soignant. On doit organiser le dépistage pour tous les professionnels de la santé. L'autre urgence est de leur garantir un suivi médical et psychologique. La reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle est aussi une autre forme de protection du corps soignant.