Le transfert du patient en soins intensifs est appréhendé par ses proches, l'assimilant à une annonce anticipée du décès. Le spectre d'une réinfection plus virulente hante ceux qui surmontent un premier contact avec le nouveau coronavirus. "Quand j'ai perdu mon beau-père atteint de la Covid, j'ai pris conscience de manière intense que le virus tue. Je développe à présent, une plus grande phobie de la contamination. Je me dis que moi aussi, je risque d'y passer la prochaine fois", confesse Aghilès, testé positif au Sars-CoV-2, sans souffrir du moindre symptôme. "J'aurais pu continuer à travailler sans soupçonner mon infection si je n'avais pas été alerté par ma femme. Nous avons aussitôt décidé de nous confiner", poursuit-il. La direction de l'entreprise où exerce son épouse a soumis, au début du mois de novembre, l'ensemble du personnel au dépistage par RT PCR. "Comme elle est la seule à avoir eu un résultat positif sur son lieu de travail, nous avons eu la conviction que c'est son père qui nous a contaminés. Il a ressenti de la fatigue, puis a eu de la fièvre dès son retour d'un enterrement d'un proche au bled", rapporte notre interlocuteur. Le couple, ses deux enfants et les beaux-parents ont une charge virale à taux variables, sans complication a priori. Au bout de quelques jours, le beau-père, 70 ans, a commencé à avoir des difficultés respiratoires. Il a été aussitôt admis au service Covid du CHU Mustapha-Pacha. "Durant les sept jours d'hospitalisation, nous étions dans un état de stress permanent. Notre hantise était d'avoir la nouvelle de son transfert vers la réanimation. Cela sous-entendait qu'il n'en sortirait pas vivant. Nous tentions de garder espoir en nous disant qu'il n'avait pas de maladies chroniques. En fait, nous étions ballottés entre deux sentiments : l'espoir de la guérison et comment allions-nous réagir s'il venait à mourir. Nous avons été rattrapés par la triste réalité", témoigne le quinquagénaire. Vingt-quatre heures après son placement en soins intensifs, le patient décède. Aghilès continue à décrypter le drame comme s'il cherchait à exorciser ses propres angoisses : "C'est une mort subite. Une semaine auparavant, il se portait à merveille. La famille a du mal à accuser le coup. Le défunt a été emmené directement de l'hôpital au cimetière, sans avoir eu d'obsèques traditionnelles. Très peu de personnes ont assisté à son enterrement." Ce manquement forcé au devoir envers le mort pèse sur le cœur des proches et rend le deuil plus difficile. "Ma belle-mère reste de longs moments silencieuse, absorbée par ses pensées. Seuls les enfants réussissent à la faire sortir de sa léthargie. Pour cette raison, nous avons décidé de rester quelque temps chez elle", soutient-il. Puis de confier : "Nous avons tous été scrupuleux dans le respect des gestes barrières. Être en contact avec le virus de manière aussi brutale nous a secoués. Au deuil se greffe la psychose d'une réinfection plus virulente." Meriem, la trentaine, corrobore : "Avant d'être touchée directement par le virus, je croyais que les gestes barrières suffisaient. Ce qui n'est pas le cas. À présent, j'angoisse à la perspective d'une réinfection qui pourrait être fatale. Je crains surtout pour la santé de ma mère, asthmatique, qui a le plus souffert des effets de la Covid." La jeune femme et sa mère ont été contaminées par le père, lequel a été contaminé par le virus dans un bureau de poste, un jour de grande affluence. "Je sais à présent que l'immunité acquise ne dure que quelques semaines. Je m'accroche au mince espoir d'un vaccin", épilogue-t-elle avec un optimisme mitigé. Les praticiens de la santé sont formels : la deuxième vague de cas positifs au nouveau coronavirus est plus meurtrière. Les formes graves entraînant le décès sont de plus en plus fréquentes. "Avant le transfert de mon frère en réanimation, j'ai su qu'il allait occuper la place d'un décédé. Il a été remplacé juste 6 jours après. Annoncer le décès de son frère via Messenger au reste de la fratrie est la chose la plus terrible qu'on puisse imaginer. Ne pas pouvoir prendre dans ses bras ses enfants, c'est sentir la mort en soi..." C'est le commentaire poignant de Hadjer à un post sur les réseaux sociaux, relevant "la cruauté d'une maladie qui ne te permet pas de soutenir des amis après la perte d'un proche".