Liberté : Comment est née l'association Mosaïque dont vous êtes le président ? Mohamed Slimani : Nous avons créé l'association "Mosaïque arts, culture et préservation du patrimoine" de la wilaya de Biskra en 2016 pour activer dans un cadre légal, car auparavant nous le faisions dans un cadre informel : on organisait des cafés littéraires, des expositions... mais sous l'égide d'autres structures. En 2016, nous avons monté une exposition à l'Institut du monde arabe à Paris sur Biskra intitulée "Biskra, sortilèges d'une oasis", en collaboration avec le professeur en histoire de l'art de l'université de Sydney (Australie), Roger Benjamin Faha, qui s'est intéressé à l'influence de Biskra sur Henri Matisse qui a peint le fameux tableau Nu bleu, souvenir de Biskra, une œuvre qui a révolutionné l'art et qui a donné naissance au fauvisme. Quelles sont vos activités phare ? Nous avons un café littéraire, un café philosophique et un café scientifique où nous vulgarisons les innovations en invitant les chercheurs universitaires pour en parler. Nous travaillons sur le patrimoine : patrimoine naturel (jardins historiques, roses de Biskra, oranges de Biskra, etc.) ; patrimoine génétique des espèces botaniques endémiques à la région avec la collaboration du Centre scientifique et technique de recherche sur les régions arides et semi-arides (université de Biskra) ; patrimoine matériel : les vestiges romains (ruines romaines), ottomans (forts militaires et fortin, bain, cimetière ottoman de Khanget Sidi Naji), de la période coloniale (siège de la mairie, hôtels, écoles, maisons de maître, résidences...) ; sur les gravures rupestres (Oued Itel) Aïn Naga ; le patrimoine immatériel : musique diwan endémique, folklore, chants... Bela Bertok à revisiter, Hiziya, Benguitoun... Votre démarche vise surtout la protection du patrimoine. Pouvez-vous nous en parler plus en détail ? Nous travaillons beaucoup avec le département protection du patrimoine de l'institut d'architecture de l'université de Biskra. Nous avons été reçus dernièrement par le wali et nous avons passé en revue tous les problèmes que connaît le patrimoine. Il était à notre écoute, intéressé par notre approche, et nous attendons du concret, car la situation est alarmante. Nous avons plusieurs fois lancé des pétitions citoyennes pour arrêter certains massacres, comme le jardin public qui a été attribué à l'agence foncière pour y construire des kiosques, des manèges, mais la mobilisation de la population a fait annuler ce projet. Nous avons également bloqué un projet de construction du siège d'Algérie Télécom dans un lieu historique (fortin militaire ottoman de 1660). Beaucoup de sites à Biskra doivent être protégés : le siège de l'ancienne mairie ; l'hôtel du Sahara construit en terre en 1851, 1er hôtel de Biskra et parfaitement récupérable ; l'hôtel Victoria ; l'hôtel de l'Europe ; l'hôtel Transatlantique, restauré et non classé ; les forts turcs (fortin d'El-Dalâa) ; dar Bengana ; dar El-Bey ; maison Caseneuve ; maison Crespin ; maison de Clara Sheridan ; école des Allées ; café André Gide... Tous ces sites doivent être d'abord classés en tant que patrimoine pour ensuite être restaurés et protégés. Mais la direction de la culture ne fait aucun effort pour classer ce patrimoine. La situation sanitaire ne nous empêche pas d'activer. Nous organisons actuellement des expositions de peintres locaux et nous avons beaucoup de projets de rencontres, et surtout nous ambitionnons de relancer le projet des studios de cinéma, le festival de la photo du désert, le festival de la musique diwan. Nous prévoyons une exposition sur Biskra à Porto (Portugal) et une autre au palais de l'Alhambra à Grenade (Espagne). Nous voulons aussi transformer l'actuel siège des Beaux-Arts en résidence d'artistes – le wali est d'accord –, la nouvelle Ecole des beaux-arts en Ecole nationale des arts et métiers et enfin classer Biskra ville de terre (construction en toub). Revenons un peu à cette maison de la culture mythique, dites-nous-en plus... Concernant l'actuelle maison de la culture, il faut savoir que c'était le Palace Hôtel (Dar Diaf), construit en 1890 et le Casino, premier et unique casino en Algérie, construit en 1893 par la Cibor (Cie de Biskra et d'Oued Righ) par l'architecte Albert Ballu. C'est une architecture néo-mauresque, un métissage de deux cultures qui se marient et se conjuguent pour produire un style nouveau qui se distingue par ses nombreux emprunts à l'architecture arabo-andalouse : arcs, coupoles, stuc ciselé, portes massives sculptées, faïences, mosaïques, chapiteaux, stalactites, méandres en U. C'est le même architecte qui a conçu la médersa de Constantine en 1909, la gare et la cathédrale d'Oran en 1913. Les travaux du Casino et du Palace Hôtel ont été supervisés par l'architecte délégué des Beaux-Arts de Timgad, M. Sarazin. Le Palace Hôtel était fréquenté par l'aristocratie anglaise, parisienne et russe. Il fut réquisitionné de 1940 à1942 pour y installer la commission militaire franco-italienne de l'Armistice et de 1943 à 1945 par les membres du commandement militaire anglo-américain. Ho Chi Minh fut reçu le 8 juin 1946 dans cet hôtel, accompagné du général Salan. Réquisitionné également de 1956 à 1962 par les officiers du secteur militaire. Il fut, de 1962 à juin 1964, le siège de la Wilaya 6 historique, QG du colonel Chabani. Y furent reçus Ben Bella, Giap, Che Guevara... Propriété de la mairie depuis 1938, il fut rouvert en tant qu'hôtel, a été le siège de la wilaya en 1976 et devint maison de la culture en 1989. Comment est perçue votre association par les habitants ? Êtes-vous aidés par les autorités locales ? Nous avons de très bonnes relations avec les autorités locales (APC) et avec le wali. Nous visons l'élite de la ville et avons de très bonnes relations avec la population ; tous nous soutiennent dans nos actions et nos combats. Nous n'avons pas d'aide, nous fonctionnons avec des mécènes et nos propres moyens. Depuis la venue du nouveau directeur de la maison de la culture, nous travaillons en partenariat, tout comme avec la direction de l'environnement concernant le patrimoine botanique.