L'an 1425 était “l'année de la viande” ; l'an 1426 sera “l'année des fruits et légumes”, du moins si, en 2005, on en croit le ministre de l'Agriculture comme on l'en a cru en 2004. Le ramadhan dernier devait être le mois du carnage tant était insistante la promesse de nous inonder de viande importée et qui nous est revendue à moitié prix du marché habituel. Mais de la viande à 400 dinars, nous ne l'avons vue qu'à la télévision. Encore un de ces miracles dont est capable l'ENTV ! Comme tout le monde le sait, le prix de la viande, on en a soupé, l'année dernière comme durant les années précédentes et comme tous les mois des années passées, ramadhan ou pas. Et l'Etat n'a pas réitéré sa fausse déclaration au sujet de la chair à bas prix. Cette fois-ci, il fallait trouver autre chose. Le ramadhan qui survient sera donc “le mois de l'abondance” des produits agricoles, assure Saïd Barkat. Même “les prix seront stables”, prévoit le ministre sans préciser à quel niveau. “Il n'y a pas de secousse (sic) et les produits algériens trônent toujours sur les étals des marchés”, ajoute-t-il. C'est délicat cette manière qu'ont nos responsables de nous mettre l'eau à la bouche avant même que le jeûne ne nous inflige cette boulimie fantasmatique qui transforme, petits et grands, hommes et femmes, en acheteurs insatiables. Heureusement, d'un certain point de vue, cette fois nos hauts responsables étaient préoccupés par le moyen de faire passer la charte de l'amnistie des tueurs. Ils n'ont que trois jours à consacrer aux problèmes des “jeûneurs-bouffeurs”, autrement plus nombreux que les électeurs et beaucoup moins enclins à l'abstention. L'abstinence recommandée n'est peut-être pas unanimement suivie, mais ce qui est aisément observable, c'est que tout le monde s'adonne à ce qui s'impose comme une contrepartie à la privation diurne : une gloutonnerie nocturne largement partagée. Pour une fois, nous, le peuple, faisons peur au pouvoir par notre ostensible avidité. C'est pour cela qu'il s'adresse à notre côté “bouffeurs” plus qu'à notre côté “jeûneurs”. Et de façon préventive, s'il vous plaît ! Ce que d'habitude il ne fait pas même pour contenir les épidémies. La science économique est basée sur le postulat du consommateur rationnel ; comment ose-t-on faire des promesses d'offre et de prix à un consommateur, pour un mois au moins, déraisonnables ? Mais quand dans un ou deux jours, nous foncerons tête baissée sur les étals où “trônent les produits”, selon la lumineuse formule de Barkat, nous n'aurons plus l'esprit à vérifier si les ministres ont tenu parole. D'ailleurs, comment s'y prendra l'autorité publique pour assurer un approvisionnement renforcé puisque, nous dit-on, les commerçants irréguliers qui se surajoutent habituellement au réseau existant seront interdits pour ce ramadhan ? Ce qui constitue d'ailleurs un canular supplémentaire de veille de carême : les vendeurs illicites pullulent à longueur d'année ! Ils occupent les rues piétonnières et les trottoirs de toutes les artères passantes. Ils ont leurs marchés propres pour le trafic de pièces détachées, de téléphones portables et de… devises. Mieux vaut donc ne pas trop insulter la réalité. Au point où en sont les choses, Ramadhan ou pas, notre avis est qu'on bouffe ce qu'on peut et on se tait. M. H.