C'est par médias interposés que les différents intervenants dans la branche échangent des accusations sur les dysfonctionnements qui minent le secteur. Le marché du médicament en Algérie vit actuellement une vive polémique entre les principaux intervenants après l'appel à la grève lancé par le Syndicat national des pharmaciens d'officine (Snapo). Le ministère délégué chargé de l'industrie pharmaceutique, le Snapo, le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (Cnop) et l'Association algérienne des distributeurs pharmaceutiques (Adpha) ont porté leur désaccord sur la place publique. Tout a commencé par l'appel à "la grève blanche" lancé il y a une semaine par le Snapo. Cette organisation syndicale a réitéré son appel à reconduire ce boycott des commandes auprès des distributeurs "en raison de la situation qui caractérise le marché du médicament, et l'enregistrement de nombreux médicaments en situation de rupture depuis plusieurs mois". Les pharmaciens expriment leur colère et leur désarroi, car leur "quotidien professionnel devient très difficile à cause des problèmes rencontrés quant à l'approvisionnement de leurs officines". Le marché du médicament a été fortement perturbé, estime le Snapo, au cours du dernier trimestre 2020. Il a rappelé, à ce propos, que la liste des médicaments en rupture a atteint, au 31 décembre 2020, le nombre de 335 produits. À la suite de cette polémique, le ministère de l'Industrie pharmaceutique a appelé vendredi dernier, dans un communiqué, l'ensemble des acteurs concernés à se "démarquer des manipulateurs d'opinion" et des actions visant à fragiliser la disponibilité des médicaments. Mais il reconnaît implicitement qu'il y a rupture de certains médicaments. Car, si un médicament n'est pas disponible durant une longue période et en quantités suffisantes dans toutes les officines du pays, il est considéré en rupture de stock. La création, toute récente, de l'Observatoire national sur la disponibilité des produits pharmaceutiques, impliquant toutes les parties, même les prescripteurs, et s'appuyant sur une nouvelle plateforme numérique, "est l'une des avancées majeures ayant pour objectif le règlement de la problématique des ruptures", note le ministère. Ce qui confirme clairement la persistance des pénuries. Cependant, dans une étude sur le secteur du médicament en Algérie réalisée entre 2015 et 2019, le Conseil de la concurrence constate des "distorsions au droit de la concurrence dans le marché". Le Conseil a notamment cité l'existence d'"oligopoles" et de "positions dominantes" accaparant plus de 40% des parts de marché, jugeant que cette situation "a un impact négatif en termes de disponibilité, de prix, de qualité et d'accessibilité aux médicaments". L'étude parle également de "conflits d'intérêts" au niveau de la chaîne de valeur (production, importation et distribution), en soutenant que cette situation a été également confirmée par les experts nationaux du secteur qui se sont déjà exprimés sur ce problème à travers les médias. Les initiateurs de l'étude ont, par ailleurs, relevé une inadéquation entre l'offre et la demande, générant des pénuries récurrentes pour certains médicaments, parfois essentiels. Certains producteurs ont critiqué les résultats de cette étude accusant ses initiateurs d'avoir recouru, pour la réalisation de ce travail d'analyse, aux experts de l'Union européenne pour préconiser l'ouverture du marché national du médicament aux importations européennes. Accusation que réfute le Conseil de la concurrence pour qui, cette étude a été l'œuvre d'experts nationaux. Le Conseil a également mis l'accent sur "les résultats positifs réalisés par les politiques publiques des gouvernements successifs pour la promotion de la production nationale du médicament et l'encouragement du générique qui réduit la facture des importations". Or, relève-t-il, l'application des règles de la concurrence et de la transparence dans les marchés stimulera l'investissement national et étranger pour développer la production nationale. Par ailleurs, le citoyen ne peut comprendre, ni saisir l'utilité de ces fausses querelles. Il demeure la seule victime de tous ces conflits. Cela étant, "le chaînon oublié, et pour lequel on n'a pas constaté de progrès lointain ou récent, est celui de la distribution en gros des médicaments. Celle-ci était un maillon oublié des réformes économiques post-1988, puisque la défunte loi sur la monnaie et le crédit ne connaissait que la fonction de grossiste importateur", affirme le Dr Rachid Ghebbi, expert en pharmacie. Aujourd'hui, "cette profession, car c'en est une, a besoin d'un bon dépoussiérage. En laissant faire la loi du marché, on a laissé se créer des centaines de grossisteries, dont la plupart ont, certes, disparu, mais une cinquantaine active toujours. C'est encore trop. Il n'en reste pas moins que c'est actuellement le maillon faible de la profession", déplore-t-il. Pour lui, il faut s'orienter avec sérénité vers l'avenir, "car ce qui nous divise est insignifiant par rapport à ce qui nous réunit", d'autant plus qu'il y va de la santé du malade...