L'homme, qui a servi durant 42 ans l'armée algérienne et qui fut un officier supérieur au parcours bien singulier, se retrouve, depuis son incarcération, accusé d'avoir porté "atteinte au moral" de cette même armée. Droit dans ses bottes, le général-major à la retraite entend mener sa bataille judiciaire. En détention depuis juin 2019, l'ancien candidat à l'élection présidentielle d'avril 2019 – annulée –, Ali Ghediri doit prendre son mal en patience. Son séjour carcéral risque de durer encore longtemps, alors que les autres détenus du Hirak ont retrouvé leur liberté. La chambre d'accusation de la cour d'Alger a décidé, en effet, le 21 février, de le maintenir en détention et de renvoyer, à nouveau, son dossier devant le tribunal criminel. Une "sentence" qui le met en colère et dénonce une "une décision politique". Le prisonnier de Koléa se dit déterminé à pousuivre son combat pour prouver son innocence. Loin de se laisser abattre, Ali Ghediri "garde le moral" et il "est déterminé", assure son avocate, Me Nabila Slimi. Mais l'homme est "en colère" parce qu'il ne "comprend pas" son maintien en détention dans une affaire qui relève pourtant de ses activités politiques. Dans une lettre adressée à l'opinion publique, le général à la retraite se dit étonné devoir que son affaire jugée en criminelle "alors que pour des faits similaires", des personnalités, comme Karim Tabbou et Hocine Benhadid, "ont été jugées en correctionnelle". Tout en se disant "content" de voir ces deux hommes quitter la prison, il affirme que cela confirme "le caractère politique" de sa détention. Ceux qui l'ont mis en prison veulent "donner l'exemple" à ceux qui "osent remettre en cause le système", ajoutera le détenu, dont les propos ont été rapportés par ses avocats. Il réitère son engagement "comme citoyen" et considère que par son statut de retraité de l'ANP, il a "le droit d'exercer ses droits constitutionnels et d'exprimer son mécontentement sur la situation du pays". Malgré ce qu'il a subi, Ali Ghediri "continue de croire qu'on ne peut pas parler de démocratie sans une véritable liberté d'expression et une justice indépendante". Mais "malheureusement, la politique a primé sur la justice", regrette le détenu. "La libre parole n'existe pas dans l'agenda politique actuel. Tous ceux qui portent cette parole sont vus comme des ennemis qu'il faut emprisonner et dont il faut mettre la parole dans les cellules de l'Algérie nouvelle. Le peuple jugera", a-t-il conclu. Pour mettre toutes les chances de son côté, Ali Ghediri a désormais ouvert la porte à d'autres avocats. Son collectif de défense, constitué de 4 avocats, s'est désormais élargi à d'autres juristes. Ils vont tenter de plaider l'innocence d'un homme qui clame depuis bientôt deux années, qu'il ne mérite pas de se trouver derrière les barreaux, lui qui a passé 42 ans dans les rangs de l'armée. Après une brillante carrière dans l'armée, Ali Ghediri part, en 2015, à la retraite avec le grade du général-major. Ce natif d'Oum El-Bouaghi n'a pas observé le temps de réserve habituel des militaires. Quelques mois seulement après son départ à la retraite, son nom est dans les journaux. Il publie, à l'été 2016, deux tribunes dans le quotidien El Watan où il s'attaque notamment aux restrictions que voulait imposer à l'époque le défunt chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd-Salah, aux militaires partis à la retraite. Cette décision de l'homme fort de l'armée de l'époque est justifiée par les sorties médiatiques, musclées, du général Hocine Benhadid, dans lesquelles, ce dernier s'en prenait au chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, à son frère et conseiller Saïd Bouteflika et au chef de l'armée en personne. Il passera deux ans en prison avant d'être libéré. Une situation qui a mis Ali Ghediri en colère. Mais le pouvoir le laissera faire, même si des années plus tard, il racontera avoir subi des pressions qui ont concerné même des membres de sa famille. Après un silence qui aura duré presque deux ans, Ali Ghediri revient, en 2018, sur le devant de la scène. Il publie des contributions visant, notamment, à alerter les décideurs sur le danger que pouvait constituer une aventure d'un cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika. Après avoir rappelé les projets qui visaient à poursuivre le système en place, il demandait "aux aînés", donc aux chefs militaires, de mettre "fin" à "un choix qu'une minorité" tentait d'imposer au pays. "Je reste convaincu que vous êtes les seuls, tant qu'il est encore temps, à pouvoir changer le cours des choses avant que le feu ne prenne. Vous êtes les seuls à pouvoir prodiguer vos sages conseils à ceux, parmi les vôtres, qui, disposant encore des clés pour une douce solution à cette grave crise multidimensionnelle qui s'annonce, sont à même d'éviter le pire à ce pays. Vous êtes les seuls à pouvoir les faire sortir de cette posture d'entêtement génératrice de violence. Vous êtes les seuls à pouvoir les convaincre de transcender leur ego au profit d'une transition générationnelle pacifique du pouvoir", écrivait-il en novembre 2018. "Je ne pense pas que le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah puisse permettre à qui que ce soit de violer d'une manière aussi outrageuse la Constitution. Il n'est pas sans savoir qu'il est le dernier de sa génération et que l'histoire est fortement attentive à ce qu'il fait ou fera. Je reste persuadé qu'il sera au rendez-vous de l'histoire, comme il l'a été hier, alors qu'il n'avait que 17 ans", dira-t-il dans une interview accordée à El Watan, un mois plus tard. Cette déclaration, qui sera retenue contre lui, ne l'a pourtant pas empêché de se présenter à l'élection présidentielle avortée d'avril 2019. Malgré "les menaces", l'homme avait décidé de maintenir sa candidature. "Ou c'est moi, ou c'est le système", clamait-il lors du Forum de Liberté. C'est cet engagement qui le poussera à garder sa candidature, malgré le soulèvement populaire du 22 Février 2019. Il tentera même de maintenir sa candidature pour l'élection prévue en juillet de la même année. Mais en juin, l'homme est arrêté. Après des heures d'interrogatoire, il sera placé en détention provisoire à la prison d'El-Harrach. Dans un premier temps, les juges l'ont accablé de trois chefs d'inculpation : outre l'"atteinte au moral de l'armée en temps de paix", le général à la retraite a été poursuivi pour "fourniture de documents secrets à des parties étrangères" et "falsification de documents officiels", une accusation qu'il a partagée avec un chef de parti politique. Après plusieurs demandes de libération provisoire et de procédures judiciaires lourdes, les deux dernières accusations ont été abandonnées en juin 2020. En plus de la bataille judiciaire, Ali Ghediri a entamé, en juillet 2020, une grève de la faim qu'il a dû interrompre après avoir contracté le coronavirus. Quelques jours avant, il avait adressé une lettre au chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune : "Après une année de détention, l'on est venu me signifier, pour la quatrième fois consécutive, la prorogation, nonobstant la forme, de la durée de ‘confinement politique' auquel je suis soumis et désigné par euphémisme mandat de dépôt, cette mesure exceptionnelle que le législateur, conscient de l'usage abusif qui pourrait en être fait, a, par prévenance, soumise à des conditions strictes et bien définies. Et c'est précisément cet abus que je suis en train de subir dans ma chair, dans les geôles d'El-Harrach au motif inavoué que ma présence sur la scène politique n'était pas sans incommoder certains décideurs", avait-il écrit. "(...) Ce serait, en effet, attenter à la compétence et à l'intégrité du corps des magistrats que d'admettre qu'il puisse s'agir d'une décision judiciaire prise sur la base de faits et charges dûment établis. C'est d'une décision éminemment politique dont il s'agit car seule la politique se considère, quand elle est pratiquée dans de pareilles conditions, aux règles morales, non tenue", ajoutait-il. Malgré l'abandon des deux chefs d'accusation, Ali Ghediri a refusé de comparaître devant un tribunal criminel. Il a estimé qu'il n'avait rien fait d'illégal. Ses avocats ont alors tenté le tout pour le tout : ils ont introduit un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême pour contester toute la procédure. La haute juridiction a répondu favorablement à la requête. Le dossier a été renvoyé, une nouvelle fois, à la chambre d'accusation près la cour d'Alger, qui a de nouveau demandé la tenue du procès dans les mêmes termes. Une décision que ni lui ni ses avocats ne semblent comprendre.