Ville fantôme durant presque toute la matinée, Saïda se ranime après le ftour et jusqu'à des heures très tardives. Les cafés sont pris d'assaut moins d'une demi-heure après l'adhan. Si certaines personnes préfèrent une virée à travers les quartiers pour une meilleure digestion d'un copieux ftour, avalé précipitamment, d'autres optent pour les soirées familiales. Huit heures trente, Saïda s'éveille. La presse n'est pas arrivée et les cafés sont fermés pour cause de ramadan, on en est au second jour. Les rues sont nettoyées par un service municipal discret mais efficace. La gare routière du quartier La Marine, ancienne porte de Saïda pour ceux qui viennent du Nord, ronronne de quelques minibus privés en partance pour les communes alentours.La Marine est ainsi nommée depuis que, lors de la seconde Guerre mondiale, les Marines américains, débarqués en Afrique du Nord, ont installé leur campement, puis leurs casernements qui demeurent encore debout de nos jours, dans ce delta asséché et non moins problématique de l'oued Oukrif. Installés à demeure tout autour de la bâtisse circulaire et décrépite de la gare routière, les squelettes métalliques des étals d'une braderie anarchique s'animent. Leurs tenanciers sont déjà là. Dans quelques minutes, ça sera un petit Bangkok. Dans les rues, quelques personnes “matinales”, l'œil morne, vont sur les trottoirs. Les boutiques n'ouvrent que vers 9h. La circulation automobile est déjà intense et empressée. Gare à ne pas s'oublier sur la chaussée. À dix heures, une multitude de vieillards et d'enfants envahissent le jardin du 18-Février. Face à la mairie de Saïda, c'est un véritable joyau architectural. Les vieux devisent, les enfants jouent dangereusement sur les motifs surélevés du bassin du jet d'eau à sec. Ailleurs, on fait les emplettes. On va au marché couvert du quartier El-Zitoun ou à celui du centre de la ville. Dans ce dernier, la qualité est présente et la mercuriale indulgente. Etonnant pour un mois de ramadan : La tomate est à 35 DA, le poivron à 30, les haricots verts et frais à 50, la pomme de terre, aliment de tout le monde, est à 25 DA, le kilo de mouton est à 540, tandis que le poulet est vendu entre 200 et 220 DA. Quant aux prix des fruits, ils n'ont pas bougé par rapport au mois précédent. À notre question de savoir si le phénomène est dû à une maigre demande, les marchands nous disent que c'est en amont que les prix sont “stables”. Dans la ville, certains commerces se sont convertis à la zlabia et au kalbellouz (ici, Chamia ) ; on ne se bouscule pas. Ce n'est qu'aux environs de 16h qu'on verra quelques acheteurs. À l'heure du dhor, les muezzins péremptoires appellent à qui mieux mieux leurs fidèles. Des gens en gandoura et qamis affluent vers les mosquées. Ils se bousculent aux portes de celles-ci. On ne les reverra qu'après la prière et la sieste, vers 16h, pour quelques achats furtifs, puis jusqu'après le ftour… À 17h, quelques passants vaquent encore dans les rues, nonchalants, d'autres sont allongés dans des jardins publics. Le temps est doux, le soleil automnal, mais encore énergique. Les voitures sont encore plus pressées, mais la circulation a diminué. Les mosquées ont mis leurs cassettes de Coran pour la lecture ostentatoire, toute la ville en résonne. Une atmosphère de fervente piété s'installe. Les gens sont maintenant chez eux, baignant dans les senteurs culinaires. La hrira est au menu. Une demi-douzaine de restaurants “méïdat ramadan” ont ouvert à travers la ville, par la bonne volonté de Naftal, d'Algérie Télécom et de quelques privés, en collaboration avec le Croissant Rouge local. Pour “casser la graine”, nous irons chez Mohand Amer, un de ces restos, ouvert sur l'avenue de la Révolution. Là, il y a de l'affluence. Cela nous donne à méditer sur la raison des prix bas pratiqués sur le marché des fruits et légumes. Trois quarts d'heure après le Adhan, la rue grouille de monde. Tous les Saïdiens sont dehors à déambuler. Au bout de la promenade, le Tarawih pour les uns, un café où trouver une chaise libre, pour les autres. Des femmes s'en vont en groupes pour des visites familiales. L'avenue de la Révolution est devenue piétonne, les services du maintien de l'ordre l'ont fermée jusqu'à 23h, une pratique des années 1990, de sinistre mémoire, qui est restée en vigueur. Les commerces ouvriront jusqu'après 23h, mais ce sont les cafés qui sont bondés de monde. On y fume et on devise autour d'un thé, jusqu'à épuisement. Ce soir, dans la maison de la culture Mustapha-Kateb, on donne une pièce de théâtre. Une œuvre amateur mettant en scène un cadavre et un gardien de morgue, se voulant militante pour la cause de la moussalaha, un truc pour adultes, en somme. La salle est pleine de jeunes adolescents. Quelques rares familles égarées là ne tardent pas à sortir. Pour le théâtre, ainsi que pour les sorties familiales civilisées, on repassera… Les rues se vident vers 1h. N'y resteront plus que les cyclomoteurs au bruit infernal pour animer la nuit ramadanesque de Saïda. K. Amine