Par : Mourad GOUMIRI Professeur associé Le communiqué diffusé, cette semaine, par la Banque d'Algérie, nous laisse sur notre faim et, en tout état de cause, dubitatifs. En effet, cette dernière s'adressant, en particulier aux banques publiques, dénonce un laxisme caractérisé des banques commerciales qui rechignent à mettre en œuvre les mesures de politique monétaire, censées réduire le poids des impacts de la pandémie sur les entreprises et notamment les plus fragiles. Entre autres mesures, il faut noter la mesure phare qui consiste à faciliter l'accès aux crédits des entreprises sans préjudices (frais financiers additionnels et stricts échéanciers), en contrepartie de quoi, la Banque d'Algérie assouplissait sa politique monétaire pour accroître la liquidité des banques commerciales par l'action des instruments monétaires classiques de refinancement (baisse des taux de réescompte et celui des réserves obligatoires, l'augmentation des seuils de refinancement des titres publics négociables), entre autres, mises en œuvre dès mars 2020. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, puisque le niveau des crédits à l'économie est passé de 8,8% en 2019 à 3% en 2020, soit de quelque 1 100 milliards de dinars en 2019 à quelque 632 milliards de dinars en 2020, ce qui est à l'inverse des résultats escomptés ! Le problème procédural choisi semble sortir des canons de ce qui se fait universellement et prévu dans la loi 90-10, relative à la monnaie et au crédit, qui institue le "Conseil de la monnaie et du crédit"(1) comme lieu unique où se débattent et se tranchent les décisions majeures dans le domaine, sans publicité ni tapage médiatique. Pourquoi donc ce Conseil ne s'est-il pas réuni pour évaluer la situation difficile que traverse l'économie nationale, en termes de liquidité notamment, et prendre les décisions idoines ? La Banque d'Algérie a-t-elle perdu la main sur les banques commerciales et notamment celles publiques, qui octroient la majorité des crédits à l'économie ? En outre, la Banque d'Algérie dispose d'un autre instrument opérationnel et décisionnel qui n'est autre que la Commission bancaire. En effet, l'article 143 de la loi stipule que cette dernière "est chargée de contrôler le respect par les banques et les établissements financiers des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés". Les responsables des banques publiques se sentent-ils menacés par l'article 421 du code pénal relatif à la "mauvaise gestion" qui sévit encore aujourd'hui ou ne se sentent-ils pas assez protégés ? Sont-ils tenus par la législation bancaire(2) qui prévoit des saisies-arrêts et pénalités de retard sur le paiement des échéances de crédit ? Le gouverneur peut-il déroger aux lois et règlements subséquents pour "couvrir" les banquiers et soutenir leur clientèle(3) ? Ce débat nécessaire pour tous les acteurs doit se tenir à l'intérieur des murs du Conseil de la monnaie et du crédit et de la Commission bancaire, et non par médias interposés ! En outre, le ministère des Finances a également son mot à dire et des décisions à prendre pour rassurer tous les acteurs. S'agissant d'une période exceptionnelle, des mesures exceptionnelles doivent être initiées, comme ce fut le cas dans la plupart des pays au monde, par la création de Fonds publics dotés de sommes colossales, pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Les autorités monétaires et financières ne doivent donc pas se défausser sur les banquiers, comme dans notre pays, mais certainement endosser seules toute la responsabilité de leurs décisions qu'elles doivent assumer pleinement devant le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire ! C'est la condition sine qua non pour que la sérénité, dans la gestion du système bancaire, revienne, chacun assumant ses propres responsabilités, pleinement et entièrement, les effets d'annonces médiatiques devant être exclus du débat. Quant au taux de la circulation fiduciaire hors banques (autour de 30%), il est lié à d'autres facteurs et notamment à la création de produits financiers attractifs, à la fiscalité, aux retards de la monétique et au marché informel, ce qui est un autre dossier à prendre en charge et qui ne date pas d'aujourd'hui. (1) L'article 62 alinéa c stipule que le Conseil est investi des pouvoirs en tant qu'autorité monétaire dans les domaines concernant "la définition, la conduite, le suivi et l'évaluation de la politique monétaire ; dans ce but le Conseil fixe les objectifs monétaires, notamment en matière d'évolution des agrégats monétaires et de crédit et arrête l'instrumentation monétaire ainsi que l'établissement des règles de prudence sur le marché monétaire et s'assure de la diffusion d'une information sur la place visant à éviter les risques de défaillance". (2) L'article 62 alinéa h stipule que le Conseil fixe les normes et ratios applicables aux banques et établissements financiers, notamment en matière de couverture et de répartition des risques, de liquidité de solvabilité et de risques en général. (3) L'article 62 alinéa i stipule que le Conseil est chargé de la protection de la clientèle des banques et des établissements financiers, notamment en matière d'opérations avec cette clientèle.